C’est ce vendredi que Sam Char tire sa révérence et qu’il passe le flambeau du Groupe Vacances Sunwing à Lyne Chayer. Avant son départ, nous l’avons rencontré pour qu’il nous parle de sa carrière, de l’industrie, de musique et… de la vie en général.
En ce 1er mai ensoleillé, un mois jour pour jour avant sa retraite, Sam Char est tout sourire, bien attablé au restaurant George, dans l’ancien club privé Mount Stephen dont il était autrefois membre.
« Cet endroit signifie beaucoup pour moi : c’est ici que tout a commencé avec Sunwing quand j’ai rencontré pour la première fois Colin Hunter, qui adorait cet endroit – et qui porte même le nom de son fils », dit-il de sa voix calme, posée et toujours rassurante.
Puis, d’entrée de jeu, Sam Char sort un papier de la poche de son veston. « J’ai apporté quelques définitions et synonymes du terme « retraite » : action de se retirer, marche que fait une armée pour abandonner une bataille, débâcle, débandade, décrochage, fuite, repli… Moi, je ne vois vraiment pas ma retraite comme ça! »
De l’énergie à revendre
Quiconque connaît un tant soit peu Sam Char comprend où il veut en venir : énergique, persévérant et toujours sur un pied d’alerte ou prêt à éteindre un feu, il n’est pas homme à se tourner les pouces.
Non pas qu’il ne va pas apprécier ses premières journées de retraité. « Lundi le 3 juin, je vais me réveiller “as a free man”: ça fait 40 ans que je me lève, que je me douche et que je me rase tous les matins de la semaine, et ce sera le premier lundi où tout ça sera fini! », dit-il avec un sourire de satisfaction.
Bien sûr, Sam Char ne passera pas ses journées à écouter pousser ses cheveux. « D’abord, je demeure actionnaire du Groupe de Vacances Sunwing, alors je veillerai à mes intérêts; ensuite, je vais continuer à investir dans l’immobilier, ce que je fais depuis que j’ai vendu Vacances Air Pax, dans les années 90. »
Le bâtisseur précurseur
Copropriétaire à 49 % de l’immeuble abritant le siège de son entreprise, qu’il a fait construire à Laval, Sam Char n’entend donc pas cesser d’être un bâtisseur, après avoir été un précurseur.
Car c’est bien ce qu’il est, lui qui fut le premier au Québec à offrir des vols vers le sud depuis des aéroports régionaux, à Bagotville d’abord puis à Sept-Îles, Val d’Or et Mont-Joli, avant que la pandémie vienne jouer les trouble-fêtes dans ses projets. « Je suis allé rencontrer les maires de toutes ces villes, les uns après les autres, dit-il. Personne n’avait pensé à ça auparavant, nous avons été les premiers! »
Ce n’est pas tout. « Avant Vacances Sunwing, tous les voyagistes et les transporteurs venus de l’Ontario et de l’Ouest ont essayé de développer le marché québécois, et aucun n’a réussi, y compris WestJet avec lequel nous avons finalement fusionné. »
L’humain avant toute chose
Pourquoi, dès lors, la recette Sunwing a-t-elle levé? Certes, le contrôle rigoureux des dépenses y est pour beaucoup, dans ce cas. « Mais au cœur de la réussite de n’importe quelle entreprise, il y a l’être humain, dit cet homme chaleureux, bourré d’entregent et à la bonne humeur contagieuse. Il faut toujours garder à l’esprit que cette réussite ne peut se faire que par l’appui, la bienveillance et la confiance de tes employés. »
Pour lui, non seulement il faut s’entourer d’une équipe qu’on respecte et avec laquelle on travaille d’égal à égal, mais il faut répondre aux besoins de ses clients et partenaires. « Il y a 20 ans, Mme Tremblay du lac Saint-Jean devait parfois se plaindre en anglais à un préposé de Toronto, si elle ne recevait pas sa commission. Je me suis dit : no way, tous les départements seront ouverts à YUL et ils seront accessibles en français. »
En juillet 2006, Sam Char a donc concentré à Montréal tous les services de Vacances Sunwing Québec : le centre d’appels et les départements des groupes, du marketing, des ventes, du service à la clientèle, des plaintes, de la finance, etc.
« Je crois aussi au pouvoir de l’être humain, il peut faire changer les choses, poursuit Sam Char. Il faut entrer dans cette industrie avec une vision, avec quelque chose de différent à apporter. Colin Hunter a ouvert Sunwing juste après les attentats du 11 septembre, en 2002. En février de la même année, tout a rouvert et tout était moins cher, des hôtels aux avions. Il a sauté sur l’occasion : personne n’a fait ce que Colin Hunter a fait à l’époque. »
De beaux souvenirs
Parmi les plus beaux souvenirs de sa carrière, Sam Char se rappelle encore la fois où le premier avion de Sunwing a atterri à Bagotville. « C’est une scène que je n’oublierai jamais : voir le nez de l’avion se pointer à l’aéroport, avec les agents de voyages et le personnel de Sunwing… Il y avait des gens qui pleuraient! »
Parmi ses grandes fiertés, il y a bien sûr le fait d’avoir fondé une famille. Sam Char est le père de deux enfants : Julien, à l’emploi de Sunwing, et Eliane, qui travaille à l’Université de Montréal. « Et je n’aurais jamais pu me rendre là où je suis sans le soutien indéfectible de mon épouse, Chantal. »
Mais au point de vue professionnel, l’entrepreneur est particulièrement fier d’avoir pu créer des emplois, répond-il sans hésiter. « Ça veut aussi dire créer de la fierté, faire en sorte que quelqu’un n’ait pas à tendre la main ou faire des mauvais coups pour gagner sa vie et vivre décemment. Pour moi, c’est la plus belle des choses. » Il sait de quoi il parle : au cours de sa carrière, Sam Char a créé au bas mot 1000 emplois.
Enfin, Sam Char n’est pas peu fier d’avoir toujours su tirer son épingle du jeu dans cette industrie pleine de rebondissements et d’incertitudes. « C’est l’une des pires qui soient car elle est tributaire d’au moins une demi-douzaine de facteurs qui peuvent l’affecter : le prix du pétrole, le taux de change, la situation politique, le contexte économique, sans compter les nouvelles menaces imprévues, comme la pandémie… »
Pas de regrets mais…
S’il n’a aucun regret, Sam Char aurait aimé mieux réagir aux attaques de la concurrence, quand il s’est lancé dans l’aventure Sunwing. « Certains ont tout fait pour nous sortir du marché, avant même la mise en place du premier vol Sunwing, y compris par des manœuvres pas toujours légales, se rappelle l’entrepreneur. Ils ont semé le doute chez les agents et leurs clients, certains se faisaient même demander de signer une décharge de responsabilité s’ils faisaient affaires avec nous! »
C’est en partie pour cette raison que Sam Char s’est toujours fait un point d’honneur de maintenir le lien de confiance qu’il a avec les agents de voyages. « Il faut être là quand ils ont besoin de nous. Et quand il y avait un problème, je n’ai jamais eu peur de sauter dans ma voiture pour aller rencontrer quelqu’un à Trois-Rivières ou ailleurs. »
Du même souffle, Sam Char a longtemps multiplié les présentations auprès des agents de voyages. « Combien de fois ai-je fait ça? J’étais là pour parler de Sunwing, leur dire qui nous sommes, vers où nous allions… Je rencontrais les agents avant les événements, puis j’étais à la sortie pour leur serrer la main… Ce lien de confiance, il a duré toutes ces années, et il dure encore. »
Une carrière bien remplie
Fils d’immigrants français de troisième génération (avec un soupçon d’italien et un chouia de libanais chez ses ancêtres), Sam Char entame sa carrière au milieu des années 1970. D’abord agent passagers puis superviseur chez Air Canada, il devient ensuite directeur de la commercialisation des vols réguliers chez Nationair, où il introduit des vols Montréal-Bruxelles.
En 1992, il fonde Vacances Air Pax, qu’il revend quelques années plus tard à Canada 3000, laquelle s’en sert alors pour établir les opérations de Vacances Canada 3000 au Québec.
De 2002 à 2006, il œuvre comme directeur des ventes de Vacances Signature, avant de fonder Vacances Sunwing Québec avec la famille Hunter. « Depuis, l’entreprise a toujours été profitable, a reçu de nombreux prix au Canada et a connu une croissance soutenue en termes de capacité, de destinations et de villes de départ », dit Sam Char.
Outre l’instauration de vols dans six villes du Québec – dont quatre en région –, Sunwing a également commencé à offrir des vols plus tôt en saison l’hiver. « Avant Sunwing, personne n’opérait de Québec en été, et personne ne volait vers le sud avant le 20 décembre; j’ai donc lancé des vols au début du mois de novembre, et ça a tout de suite marché. »
Aujourd’hui, Sunwing maintient 80 employés dans la ville de Québec. « Nous sommes la seule compagnie aérienne canadienne à avoir une base dans cette ville. Et au cours des prochaines années, la fusion avec WestJet va nous donner un système opérationnel beaucoup plus efficace. Quelqu’un a besoin d’avions de 330 sièges? Pour l’instant, nous n’en avons pas. Mais avec la fusion, nous aurons accès à une flotte de 180 appareils. »
Le chanteur sportif
Adepte de taekwondo, Sam Char trouve essentielle la présence du sport dans sa vie, et l’activité sportive l’a aidé à passer à travers plusieurs épreuves grâce à tous ses impacts positifs. « Le sport te permet de garder le moral et l’esprit compétitif, et chaque fois que tu en fais, tu t’éloignes des médicaments et des médecins », assure-t-il.
Dans un proche registre, l’adepte d’art martiaux a même publié un livre consacré à l’autodéfense pour les femmes, dans le cadre d’un programme initié par son école de taekwondo. Celui-ci visait à éloigner les jeunes de la drogue et un certain Justin Trudeau, alors simple député, avait apporté sa contribution pour amasser des fonds.
Tout comme son partenaire d’affaires Colin Hunter, crooner bien connu dans l’industrie, Sam Char aime aussi empoigner le micro pour entonner des airs endiablés. Il y a quelques années, il a même endisqué 10 chansons avec un orchestre big band de 16 musiciens, et il s’apprête à lancer un autre album d’ici la fin de l’année.
« Adolescent, je jouais en duo avec mon frère [l’ex-journaliste et professeur retraité Antoine Char], dans les clubs et les fêtes privées de Montréal. Quand on veut créer de la joie, qu’est-ce qui peut nous faire vibrer plus que la musique? » Mais voilà que Sam Char doit faire face à un autre style de musique, celui de la retraite.
L’heure du départ
À l’annonce de son départ, au mois d’avril dernier, les messages chaleureux ont fusé de toutes parts. « J’ai été extrêmement touché par tous les témoignages que j’ai reçus à cette occasion, notamment de la part de gens qui me considèrent comme un mentor… Au bureau, certains sont venus me voir en pleurant, même Luis, un Latino un peu macho! »
Voilà pourtant des années que Sam Char parle de prendre sa retraite – laquelle serait arrivée bien avant, n’eut été de la pandémie – et qu’il prépare Lyne Chayer à lui succéder. « Lyne a énormément d’expérience; en fait, peu de gens au Québec ont accumulé autant de connaissances sur l’industrie, l’aviation, les voyagistes, la gestion de personnel, les clients et la distribution… Je la connais depuis 25 ans, c’est moi qui l’ai embauchée! »
Cela dit, Sam Char n’a aucune intention de jouer à la belle-mère avec sa dauphine, même si le Groupe de Vacances Sunwing forme pour lui une grande famille. « Tu imagines? Pendant 25-30 ans, j’ai vu des employées célibataires, ensuite en couple, ensuite mariés pour enfin devenir parents d’un, de deux ou de trois enfants… Je dois avouer qu’une partie de moi trouve déchirant de quitter tout ça… »
En disant cela, les paroles de son paternel lui reviennent subitement à l’esprit : « Quand j’étais jeune, mon père me disait : “Fiston, regarde une fois en arrière, pleure un bon coup et ne te retourne plus, puis va de l’avant.” »
On peut fort bien imaginer que c’est ce que Sam Char continuera de faire, même en tant que retraité…