Haro sur les amendes aux passagers qui enfreignent la confidentialité 

« Même si l’amende était inférieure à 50 $, l’idée même que des personnes puissent être sanctionnées pour avoir exercé leur liberté d’expression est révoltante. »


Les défenseurs des droits des passagers au Canada tirent la sonnette d’alarme face à une proposition de l’Office des transports du Canada (OTC) qui lui donneraient de nouveaux pouvoirs pour sanctionner les voyageurs aériens qui enfreignent les règles de confidentialité.

Dans une publication en ligne le mois dernier, l’OTC a ainsi proposé un amendement qui lui permettrait d’infliger des amendes aux clients des compagnies aériennes qui brisent la confidentialité des plaintes lorsqu’ils les déposent.

Dans le cadre du processus actuel de règlement des plaintes, les clients et les compagnies aériennes n’ont pas le droit de divulguer publiquement l’issue des plaintes portant sur des sujets tels que l’accessibilité des voyages, les remboursements et les compensations pour un vol annulé — sauf si les deux parties acceptent de lever la confidentialité.

 

Un gag order amplifié

Gabor Lukacs, président du groupe de défense des droits des passagers aériens Air Passenger Rights, estime que cette modification réglementaire viendrait renforcer un « ordre de bâillonnement » (gag order) existant et dissuaderait les passagers de partager des informations sur ce à quoi leurs pairs pourraient avoir droit.

« Même si l’amende était inférieure à 50 $, l’idée même que des personnes puissent être sanctionnées pour avoir exercé leur liberté d’expression est révoltante, estime ainsi Gabor Lukacs. Ce qui est vraiment exceptionnel, c’est qu’un organisme tente de réglementer des personnes qui n’appartiennent pas au secteur du transport. »

 

L’OTC tempère

L’OTC considère pour sa part que cette règle ajouterait simplement des pouvoirs d’application standard à une disposition de confidentialité adoptée par le Parlement.

L’organisme a également précisé que cette mesure ne signifie pas qu’il prévoit exercer son autorité dans ce domaine, ni que de nombreux plaignants enfreignent actuellement la loi en discutant de leur dossier.

« Les mises à jour effectuées dans le cadre de cet exercice de désignation ne découlent d’aucun problème systémique observé et ne signalent pas l’intention de l’OTC d’utiliser ces pouvoirs pour faire respecter la confidentialité, que ce soit auprès des compagnies aériennes ou des passagers, ni que des amendes seront appliquées automatiquement », assure le porte-parole de l’OTC, Jadrino Huot, dans un courriel.

Celui-ci précise que les plaignants peuvent parler publiquement de leur expérience de voyage. Cependant, le processus de règlement des plaintes, y compris tous les documents et informations soumis ainsi que la décision « ne peut pas être rendu public ».

 

Des amendes plus ou moins salées

L’OTC n’a pas précisé le montant des amendes dans son courriel. La Loi sur les transports au Canada plafonne les sanctions contre les individus à 5 000 $, mais l’agence peut fixer des seuils inférieurs dans ses règlements.

Les amendes visant des personnes — plutôt que des entreprises, et qui s’appliquent généralement aux travailleurs du secteur des transports — peuvent être imposées après un avertissement du régulateur. Selon le barème actuel des pénalités monétaires de l’OTC, elles ne dépassent 1 000 $ qu’en cas de violations multiples.

L’expert juridique John Lawford s’est dit préoccupé par l’effet dissuasif de cette disposition de confidentialité et des nouvelles sanctions proposées.  « Les voyageurs vont être abasourdis par cette mesure », croit-il, tout en ajoutant que cela pourrait décourager certains de recourir au processus de plainte.

Il souligne que des processus comparables, comme celui du Commissariat aux plaintes relatives aux services de télécommunication (CPRST), ne comportent aucune exigence de confidentialité.

« L’idée que le gouvernement poursuive des personnes qui essaient simplement de récupérer leur argent ne semble tout simplement pas correcte. »

 

Quelques infos révélées

Des informations clés sur chaque plainte sont cependant publiées sur le site web de l’OTC.

Ces informations incluent le numéro de vol concerné, la date de départ, le fait que l’interruption ou le refus d’embarquement était hors du contrôle ou non du transporteur et la remise ou non d’un remboursement ou d’une indemnisation.

La sanction proposée s’inscrit dans le cadre de plusieurs amendements rédigés par l’OTC, notamment la possibilité d’infliger des amendes aux compagnies aériennes si elles ne respectent pas leur contrat avec les clients.

 

Une Charte refondue

Cette mise à jour découle d’une refonte en cours de la Charte des droits des passagers du pays, motivée par les scènes de chaos dans les aéroports, les longues files d’attente aux contrôles de sécurité et les aire de livraison de bagages encombrées en 2022, lors de la reprise du trafic aérien après les fermetures liées à la pandémie.

Une loi libérale adoptée en 2023 visait à renforcer les obligations des compagnies aériennes en matière de compensation des passagers pour les retards et annulations causés par des raisons sous leur contrôle. Elle visait également à établir un système de règlement des plaintes plus efficace.

Malgré cette nouvelle procédure, l’arriéré de plaintes auprès du régulateur des transports du pays continue de croître, avec 85 225 dossiers en cours.