Les autres syndicats pourraient ne pas tenir pour acquis les décisions du Conseil canadien des relations industrielles qui les intiment de retourner au travail.
La défiance des agents de bord face à l’intervention fédérale visant à mettre fin à la récente grève chez Air Canada pourrait établir un nouveau précédent pour les arrêts de travail, estiment certains observateurs du mouvement syndical.
Le geste des travailleurs a brisé un schéma croissant qui, selon Barry Eidlin, professeur agrégé de sociologie à l’Université McGill, était en train d’éroder le droit de grève au Canada.
Le mal-aimé article 107
Il faisait référence à l’utilisation répétée par le gouvernement libéral fédéral de l’article 107 du Code canadien du travail, un mécanisme relativement récent.
Ce règlement confère au ministre du Travail le pouvoir de prendre des mesures visant à « favoriser le règlement des conflits de travail », notamment en renvoyant la question au Conseil canadien des relations industrielles.
Mais Barry Eidlin a qualifié l’usage répété de ce règlement par le gouvernement libéral – y compris pour mettre fin à des grèves distinctes depuis 2023 dans les secteurs ferroviaire et portuaire – d’« interprétation nouvelle » de ses pouvoirs. Il a souligné que l’utilisation de cet outil fait l’objet de contestations constitutionnelles en cours dans ces affaires, que les tribunaux n’ont pas encore tranchées.
« Il y a un argument valable à faire valoir selon lequel la valeur juridique de notre droit constitutionnel de grève dépasse largement cette interprétation nouvelle de cette partie obscure du Code canadien du travail, et donc nous sommes dans notre droit de défier cet ordre, car ce n’est pas un ordre légitime. »
Petit retour en arrière
Plus de 10 000 agents de bord se sont mis en grève vers 1 h du matin le 16 août, l’entreprise procédant à un lock-out peu après, ce qui a entraîné l’arrêt complet des vols d’Air Canada.
Moins de 12 heures après le début de l’arrêt de travail, la ministre de l’Emploi, Patty Hajdu, a invoqué l’article 107 afin de demander au Conseil canadien des relations industrielles de mettre fin à la grève et de soumettre les parties à un arbitrage exécutoire. Le Conseil a ordonné aux agents de bord de reprendre le travail dès le lendemain.
Mais l’ordre a été défié par les responsables syndicaux, ce qui a amené le Conseil à déclarer la grève illégale et à leur ordonner de dire publiquement aux membres de se retirer. Les travailleurs sont toutefois restés sur les lignes de piquetage jusqu’à ce que les deux parties reprennent les négociations et concluent une entente de principe le 19 août.
Un pensez-y bien
Pour Barry Eidlin, cette chaîne d’événements pourrait non seulement encourager les syndicats lors de futurs arrêts de travail, mais aussi inciter le gouvernement à réfléchir à deux fois avant d’invoquer l’article 107.
« Cela ouvre certainement la voie, dit-il. Je pense que cela montrera aux autres syndicats qu’ils n’ont pas à prendre pour du cash l’ordre du Conseil des relations industrielles de retourner au travail. »
Si l’issue de l’arrêt de travail d’Air Canada a probablement « refroidi » l’utilisation de l’article 107, Larry Savage, professeur en relations de travail à l’Université Brock, a affirmé que cela ne signifie pas que le gouvernement va cesser d’intervenir dans les conflits de travail.
« C’est un vœu pieux », a-t-il déclaré, ajoutant qu’Ottawa pourrait simplement se tourner vers d’autres outils disponibles pour mettre fin à de futures grèves.
« L’article 107 pourrait tomber en désuétude à la suite de la grève d’Air Canada, mais il est important de se rappeler que les gouvernements peuvent toujours revenir à l’adoption d’une loi traditionnelle de retour au travail. »
Une mesure de contournement
Larry Savage affirme que les libéraux ont utilisé l’article 107 comme un « contournement » afin d’éviter le débat parlementaire à la Chambre des communes, une étape nécessaire lorsqu’on adopte une loi de retour au travail pour mettre fin à une grève.
Il a ajouté que, bien que les circonstances de chaque grève ou lock-out diffèrent, les tribunaux ont confirmé l’usage des lois de retour au travail ces dernières années, ce qui pourrait en faire une option viable pour le gouvernement.
Il a également prédit une « forte contre-offensive » de la part des employeurs pour rétablir l’équilibre en leur faveur. Cela pourrait signifier de militer pour que certains emplois soient déclarés services essentiels, empêchant ainsi légalement les travailleurs de faire la grève, ou demander l’abrogation de la loi fédérale interdisant le recours à des travailleurs de remplacement.
Une mauvaise gestion du transporteur?
« La direction d’Air Canada a très mal géré ce conflit de travail… mais je pense que les employeurs tenteront toujours instinctivement de s’appuyer sur le gouvernement pour les aider en matière de relations de travail », d’ajouter Larry Savage.
Il explique aussi que les agents de bord ont pu tirer avantage du fort soutien public envers leurs revendications en restant sur les lignes de piquetage, malgré l’ordre fédéral. Il en a résulté un levier stratégique supplémentaire pour que le syndicat puisse exercer une pression sur la compagnie aérienne et la ramener à la table des négociations, alors que les annulations de vols s’accumulaient.
« Au final, c’était un risque calculé, mais un risque qui a porté ses fruits », assure Larry Savage. La saga des agents de bord n’est pas encore terminée, car l’entente proposée doit être ratifiée.
Vote en cours
La semaine dernière, les membres de la section Air Canada du Syndicat canadien de la fonction publique ont commencé à voter sur l’entente de principe conclue avec la compagnie aérienne. Le scrutin se terminera demain, le 6 septembre.
Si l’entente n’est pas ratifiée par les membres du syndicat, le SCFP a indiqué que toutes les dispositions, sauf celles concernant les salaires, feraient tout de même partie d’une nouvelle convention collective avec Air Canada. Cela inclut les règles relatives à la rémunération au sol, les pensions et la passerelle de retraite, les prestations de santé, le repos allongé et les vacances.
La partie concernant les salaires serait alors soumise à l’arbitrage, un tiers arbitre rendant une décision finale.
Barry Eidlin a affirmé que les concessions de l’entreprise prouvent que, malgré tous les outils dont disposent les employeurs pour étouffer les conflits de travail, ils doivent négocier. « Cela montre aux employeurs qu’ils n’ont pas de passe-droit », de conclure le professeur de McGill.