Franck Laboue
L’aventurier épicurien
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Il y a des villes dont le seul nom fait frissonner tous nos sens. Des cités à l’aura telle qu’elles font rêver depuis plusieurs siècles des générations de rêveurs et d’aventuriers. Il n’y a que très peu d’endroits autour du monde qui a eux seuls représentent un morceau entier de l’histoire : Rome, Athènes ou Jérusalem en sont les plus beaux exemples. Istanbul est de cette trempe, une véritable métropole de l’histoire. Quelle autre ville peut se targuer d’un tel passé. Istanbul, c’est aussi et surtout Constantinople, l’ancienne Byzance qui fait encore tourner les têtes avec son patrimoine.
Cité entre deux mondes, la tête tournée vers l’Europe, le corps imprégné d’Asie, le cœur culturel de la Turquie est la symbiose de ces deux univers, si proches et si loin à la fois. Jamais cité n’aura tant fasciné ses visiteurs. Les Stambouliotes, eux, ont l’habitude de vivre dans ce décor aux mille ambiances. Le trait d’union naturel qui sépare ces deux mondes, c’est le Bosphore, faisant d’Istanbul la seule ville à cheval sur deux continents. La magie d’Istanbul, on la retrouve sur la bien nommée « Corne d’Or », cœur patrimonial de toute la Turquie et de son long passé. Invité l’automne passé par le ministère du Tourisme de Turquie, ce fut mon deuxième passage dans cette cité magistrale. Balade dans le quartier mythique de la Corne d’Or.
POÉSIE DE L’ANCIENNE CONSTANTINOPLE
Plus encore que l’histoire de la Turquie, c’est ma fascination pour l’Empire byzantin qui m’enivre à l’évocation d’Istanbul. Celle qui se nomma d’abord « Byzance », fut fondée en 330 sous le nom de l’empereur Constantin 1er. Elle allait devenir la « Nouvelle Rome » et la capitale de « L’empire romain d’Orient » : Constantinople. Au carrefour de l’histoire et des invasions, la cité façonnera deux empires, le Byzantin d’abord, puis l’Ottoman en 1453. Ma rencontre avec la Corne d’Or a commencé sur les rives du Bosphore, côté Européen. En longeant les puissantes murailles byzantines qui entourent la vieille ville, je me sens tout petit face au poids de l’histoire. En arrivant par le détroit, je me rappelle les mots de Pierre Loti. Capitaine de marine et grand voyageur, Istanbul l’a tout de suite enivré : « Déjà voici les kiosques impériaux et les grands harems; puis la série des palais tout blancs aux quais de marbre. Et enfin, là-bas et là-haut, sortant tout à coup d’une brume qui se déchire, la silhouette incomparable de Stamboul. » C’est la promesse du dépaysement total qui s’annonce.
SE PERDRE AU GRAND BAZAR
Mes premières errances me mènent au Grand Bazar. Celui-ci, l’un des plus grands du monde, fut construit au 15ème siècle. Certes, il existe des marchés bien plus locaux et authentiques dans Istanbul, mais le Grand Bazar reste un mythe. Sur les dômes qui couvrent le toit du bazar, je suis du regard le ballet des pigeons qui s’y dandinent. À l’ombre d’une imposante mosquée, j’observe le flux mélangé des touristes et des locaux qui s’engouffrent au cœur de l’immense bâtisse. Entre les échoppes de souvenirs, quelques vendeurs de marrons et maïs chauds attirent les petits stambouliotes accompagnés de leurs parents.
Ces effluves de nourriture m’invitent à entrer dans le bazar. Le nombre des larges couloirs aux plafonds colorés donne instantanément le vertige. Dans ce tourbillon de monde s’alignent les magasins de tissus, faïences, bijoux et autres breloques. Quelques drapeaux à l’effigie d’Atatürk ornent les couloirs, le créateur de la Turquie moderne est toujours aussi populaire. Les vendeurs d’épices multicolores ne laissent pas de doute possible, nous sommes bien en Orient. Bientôt arrivent les échoppes de sucreries. Quelle torture de résister à autant de délices, les baklavas juteux et autres loukoums aux couleurs arc-en-ciel rayonnent dans les vitrines. Festin pour les yeux. Il me faut sortir et retrouver l’air libre. Je m’attable à un petit restaurant, déjà les effluves de narguilé mélangés à celles du café se faufilent dans mes narines. Impossible de ne pas déguster un thé ou un café turc. Ce sera donc le café, celui-ci il faut le savoir est particulier. En Turquie il est bouilli et son goût est réellement différent; il vous sera servi avec le marc au fond de la tasse. Attention aux mauvaises surprises !
LA MOSQUÉE BLEUE & LE PALAIS TOPKAPI
Je continue mon chemin sur la Corne d’Or (quelle poésie que ce mot) reflétant à lui tout seul le faste de l’endroit. À l’horizon pointe déjà la forêt de minarets de la Mosquée bleue. Un panorama digne d’un conte des mille et une nuits. Le nombre de minarets interpelle, en construisant 6 minarets au 17ème siècle, le sultan égala le nombre de la mosquée de La Mecque. Chose interdite, il dut payer un septième minaret à La Mecque pour réparer l’affront ! La cour intérieure est majestueuse, entourée d’une myriade d’arcanes ciselés de toute beauté. À l’intérieur, le terme mosquée « Bleue » prend tout son sens, le bâtiment est entièrement tapissé de faïences de toutes les teintes de bleu. Du dôme, pendent tout un enchevêtrement de petites lampes qui s’arrêtent au-dessus des hommes en prière. Je passe les lourdes portes de bois ornées de décorations métalliques magnifiquement découpées.
Au bout de la Corne d’Or m’attend le Palais Topkapi, étendu sur près de 70 hectares. La petite porte d’enceinte ornée de chapiteaux ne laisse pas imaginer la vaste étendue de ce domaine.
Véritable labyrinthe, Topkapi demande plusieurs heures de visite, l’imposante résidence impériale des sultans ottomans cache de nombreux trésors. Bibliothèques, pinacothèques, cuisines immenses, collections de porcelaines, calligraphies, le nombre des expositions donne le vertige. De tout ce complexe je retiens tout particulièrement la découverte du « Harem impérial », curieux lieu de fantasmes. Résidence de la mère du Sultan, y vivaient les concubines et femmes de celui-ci, en plus de ses enfants et serviteurs ainsi qu’eunuques.
Ce qui frappe en rentrant dans cette structure, c’est le dédale des couloirs me rappelant quelques-unes des bulles de Tintin, perdu en Orient. Couvrant près de 300 pièces, c’est un véritable labyrinthe entrecoupé de cours et pièces cachées.
Destin particulier que celui de ces femmes cachées du reste du monde, vivant sous la tyrannie de la mère du Sultan. Les couloirs remplis de faïences ne sont pas sans me rappeler le Brésil et le Portugal, magnifiques couleurs souvent étouffées dans la noirceur des pièces cachées sous d’épais volets de bois. En sortant du Harem, je lève la tête, même les bordures des toits sont découpés et décorés de la plus belle des manières. Quelle richesse. Déjà au loin j’aperçois les eaux du Bosphore. À la pointe de la Corne d’Or, je domine d’un seul regard les deux rives de la cité, c’est le panorama digne d’un sultan.
SAINTE-SOPHIE : LE CHEF D’OEUVRE PHOTO SAINTE SOPHIE
J’ai préféré garder mon chouchou pour la fin. Mon coup de cœur, l’un des bâtiments qui a le plus fait vibrer mon âme : la basilique Sainte-Sophie. En face de la mosquée bleue, sa masse imposante me subjugue. Évoquer le siècle de sa construction donne le vertige, elle fut érigée dès les premières années de Constantinople au 4ème siècle. Devenue mosquée à l’arrivée des Ottomans, elle fut désacralisée en 1934 sous l’impulsion d’Atatürk. En passant les portes monumentales, rien ne laisse présager du spectacle. D’immenses chandeliers descendent telles des toiles d’araignées au-dessus de ma tête, une ambiance d’église orthodoxe s’empare de moi. L’espace d’un instant, j’ai l’impression de me retrouver entre les murs antiques du Saint-Sépulcre. Il ne manque plus que l’encens pour m’enivrer complètement. Les affres du temps et des conquêtes n’auront pas eu raison de la belle Sainte-Sophie. Sous les piliers se cachent des mosaïques de l’époque byzantine d’une beauté quasi immaculée. Sous le dôme, j’attrape un torticolis, les dorures qui tapissent l’enceinte me donnent le tournis : c’est un véritable orgasme artistique.
La voûte du dôme aspire, 17 siècles plus tard elle est toujours l’une des plus vastes du monde. Les mosaïques représentant des scènes de la Bible sont autant de chefs-d’œuvre disséminés dans toute Sainte-Sophie. Un tel lieu est intemporel, elle restera toujours pour moi l’éternelle basilique du monde oriental, le chef-d’œuvre des Byzantins. En sortant de la basilique en cette fin d’après-midi, des couleurs ocre jaune-orange font briller Sainte-Sophie. Au loin résonnent les cris des mouettes sur le Bosphore et les minarets forment des ombres chinoises à mesure que le soleil s’efface. Après le café, il est temps d’aller prendre un verre de Raki en terrasse, histoire de méditer sur mes pérégrinations stambouliotes.
VERDICT DU CHRONIQUEUR
La Corne d’Or est un rare concentré d’histoire, l’un de ces lieux mythiques qui parsèment le monde. Visiter Istanbul sans passer dans ce quartier serait presque criminel. Malgré les récents événements qui ébranlent la Turquie, Istanbul sera toujours l’une des plus belles villes du monde; un monde coincé entre l’Orient et l’Occident. Il y a une langueur orientale à Istanbul, sous la fumée des myriades de narghilés, elle laisse rêveur et contemplatif.
À VOIR, À LIRE, À ÉCOUTER
Fantôme d’Orient (Pierre Loti – 1892) – Les escapades stambouliotes du jeune Pierre Loti, l’écrivain voyageur nous partage son amour pour la belle Istanbul. Skyfall (Sam Mendes – 2012) – C’est bien connu, James Bond est un grand voyageur. Dans cet opus célèbre, il nous emmène à Istanbul sur les toits du grand bazar, le temps d’une scène d’action. Le palais des larmes (Michel de Grèce – 1989) – Dans la Byzance du 6ème siècle, l’autobiographie romancée de Théodora, épouse de l’empereur Justinien. |