Mon arrivée à Swakopmund fut pour le moins déconcertante. Il faut dire que mis à part le fait que cette ville aux forts relents germaniques soit la destination balnéaire la plus prisée de Namibie, je n’en savais pratiquement rien!
C’était un samedi, en début de soirée. Je m’attendais à y retrouver l’ambiance effervescente caractéristique des lieux de villégiature (des restaurants et des bars, crachant une musique criarde, aux terrasses bondées d’étrangers plus ou moins « chaudailles » et brûlés par le soleil!). Je me suis plutôt retrouvé dans une agglomération complètement désertée avec l’impression de me trouver dans une ville fantôme surréaliste, sortie tout droit d’un western, plantée au milieu d’un décor d’Allemagne coloniale. Ma première réaction fut de siffloter en boucle l’enivrant air d’harmonica du célèbre film de Coppola: Le bon, la brute et le truand (ou-oui-ou-oui-ou… pan-wan-wan-waaaan). La seconde fut de me dire que je n’y resterais pas plus de deux jours.
Après un certain effort de recherche, j’ai fini par trouver une « Brauhaus » et quatre ou cinq restaurants ouverts. Ce n’est que plus tard que j’appris la raison de cet état des choses. En fait, une réglementation tirant ses racines de l’époque coloniale allemande, interdit l’ouverture des commerces et la vente libre d’alcool du samedi à 13h00 au lundi matin (le dimanche étant réservé à Dieu)! Comme la grande majorité des Namibiens sont chrétiens (principalement luthériens) et que l’alcoolisme est un fléau dans le pays (j’y reviendrai dans un de mes articles subséquents), on peut supposer que les autorités s’accommodent parfaitement de l’état des choses et ont décidé de n’y rien changer.
Comme vous le savez sans doute, le voyage nous réserve toujours des surprises et cette ville improbable a fini par me séduire. Il faut dire que la diversité des activités proposées (sports extrêmes, pêche, balades dans le désert, Galerie de Cristal, observation de la faune, etc.) et la clientèle locale du bar du Europa Hôtel Hof y ont largement contribué!
Mais ce qui m’étonna le plus de Swakop fut la COSDEF (community Skills Developement Foundation) Arts & Crafts Center. J’ai trouvé cet endroit, un peu par hasard, en déambulant dans les rues et en suivant divers panneaux signalétiques. Travaillant moi-même au Centre d’arts Diane Dufresne, je ne pouvais pas résister à la tentation de voir ce que cette ville réservait à ce chapitre.
L’arrivée fut assez décevante. Une salle d’exposition vacante, le lieu déserté par les visiteurs et seulement quelques boutiques et échoppes ouvertes. Pourtant, ce lieu récemment bâti était épatant avec son amphithéâtre extérieur, son restaurant, ses salles de classe équipées en neuf (machines à coudre Singer, instruments de musique, équipement de joaillerie, de cordonnerie, etc.) Faisant contre mauvaise fortune bon cœur (et surtout pour ne pas avoir à marcher des kilomètres sous un soleil de plomb pour rien), j’ai décidé de discuter avec un des tenanciers d’échoppe. J’entre donc dans une de celles ouvertes où un homme en fauteuil roulant est affairé à polir des pierres. Sitôt qu’il m’aperçoit, il dépose ses instruments et se retourne, un large sourire aux lèvres, pour me souhaiter la bienvenue.
Après les salutations d’usage « Hello! How are you? Where are you from? Tought you were German!!! », j’apprends qu’il se nomme Roger et je commence à le questionner, curieux d’en savoir plus.
– C’est dommage qu’il n’y ait pas plus de gens! Les affaires ne doivent pas être très bonnes?
– Il y a des jours où les bus de touristes viennent, d’autres où ils ne viennent pas! Mais bon, j’arrive à payer mon loyer, subvenir à mes besoins et même à en mettre un peu de côté… pour ma future boutique.
– C’est quoi cet endroit au juste? Ça ressemble à une sorte d’école!
– C’en est une en effet. Moi, j’ai appris à couper les pierres, à les polir et à faire des montages simples sur l’argent et l’or.
La glace est rompue, Roger commence à se raconter…
– Moi, je savais déjà comment trouver les pierres brutes. C’est un très gentil Sud-Africain, M. Meyer, qui m’a appris. Je les ramassais donc pour lui. Mais, au fond de moi, je savais que quelque chose manquait! Je faisais un peu d’argent, mais je savais que les intermédiaires en faisaient plus. J’ai donc décidé d’en apprendre plus.
– C’est à ce moment que tu es venu ici?
– Pas du tout! À l’époque, j’étais un sportif. Je parcourais des marathons en fauteuil roulant. Mon but était de traverser ainsi le pays. Un jour, Michelle, la coordonnatrice du centre, est venue me rencontrer et m’a demandé si j’étais intéressé à m’inscrire. Je me suis dit que je pourrais parcourir le pays plus tard et j’ai accepté son offre. Depuis, je n’ai jamais regretté ma décision!
Je remercie Roger de son temps et lui dit que son sourire et son enthousiasme sont très inspirants. Je prends quelques photographies, le félicite de son succès et lui souhaite la meilleure des chances pour l’avenir avant de me mettre à la recherche de la coordonnatrice Mme Michelle Inixas.
J’entre dans ce qui me semble être le bureau et demande si Michelle est disponible. La secrétaire me répond qu’elle est dans la boutique de souvenirs. J’y vais et j’aperçois une dame en sérieuse discussion au cellulaire. J’attends donc patiemment qu’elle termine son coup de fil et me présente:
-Bonjour, je m’appelle Dominick. Je viens tout juste de m’entretenir avec Roger et votre projet me fascine. Si vous avez un peu de temps, j’aimerais en savoir plus.
Sans aucune hésitation, elle accepte et m’invite dans son bureau. Je lui résume rapidement ce que Roger m’a appris et lui dis que je l’ai trouvé si inspirant que je comptais écrire un article sur lui et le centre, tout en lui mentionnant que je ne suis pas journaliste de profession et que je ne peux lui garantir la publication. La nouvelle ne semble pas la gêner outre mesure et elle commence par m’expliquer l’histoire du projet. Elle m’informe que la COSDEF existe depuis 1997, mais n’est vraiment active que depuis 2006. Cette association regroupe huit centres, un peu comme le sien, qui offrent des services à plus de 3 000 personnes. Son centre fut construit en 2014 grâce à un don de 23 millions de dollars U.S. du peuple américain, par le biais de la Millenium Challenge Corporation.
Je lui demande alors de m’expliquer plus en détails le fonctionnement de son centre. Elle me dit que les étudiants acceptés, recrutés ou ayant fait une demande, reçoivent d’abord des cours de mise à niveau scolaire (cours de langue, de mathématiques, etc.). Ce cursus dure généralement un à deux ans. Puis, ils sont dirigés vers un métier basé sur les ressources naturelles et les débouchés qu’offre leur région de provenance (ex: Roger vient du Sud, là où les pierres sont abondantes. Quelqu’un venant d’une région où l’élevage domine sera dirigé vers le travail du cuir, etc.). Ceux qui enseignent sont soit enseignants de profession, des professionnels du métier enseigné ou même, comme Roger, d’anciens élèves. Ils travaillent tous sur une base volontaire. Une fois gradués, les élèves sont accompagnés dans la mise sur pied de leur entreprise grâce à un concept marketing appelé The Linkage Model, crée et offert par le Bow Valley College (une institution canadienne d’Alberta). Ils peuvent alors avoir accès à l’une des échoppes sur place, moyennant un loyer de 250$ nad à 1 000$ nad (soit environ 25$ à 100 $ cad), dépendamment du niveau et de la notoriété de leur entreprise.
– Est-ce que le centre réussit à s’autofinancer?
– Bien que ce soit le but visé à long terme, c’est en grande partie grâce aux subventions gouvernementales que le projet est viable. D’ailleurs, nous ne pouvons accueillir que cinq groupes présentement, bien que la demande soit largement supérieure. Je travaille présentement à faire reconnaître nos diplômes par le ministère namibien de l’éducation. Quand j’aurai atteint ce but, le gouvernement sera obligé d’augmenter les subventions.
Au centre sont enseignés: la restauration, la formation d’équipes de travail (team building), le commerce de détail, l’art et les métiers d’art, le design de mode, la musique et même la technique de scène.
Avant de quitter, je prends une photographie de cette aussi charmante que dévouée dame et je donne une bonne poignée de mains à Roger. Je leur offre mes vœux du plus grand des succès et je m’apprête à repartir, étonné et plein d’espoir pour ce fabuleux projet.
Alors, professionnel du voyage ou voyageur, si la Namibie vous intéresse, inscrivez à votre itinéraire le COSDEF Arts & Crafts Center. Ainsi, vous pourrez acheter des souvenirs authentiques dont la quasi totalité des revenus iront aux artisans. En prime, vous participerez au financement d’un projet fort louable et bénéfique tout en payant la moitié du prix de ce que vous trouverez dans les boutiques de souvenirs. Voilà un bel exemple de tourisme durable et responsable!
(Source: Dominick Martineau pour Profession Voyages. (Photos & Textes)