Air Canada poussée vers un accord par la politique, l’opinion publique et l’exemple des États-Unis

Selon certains analystes, plusieurs facteurs concomitants expliquent le règlement in extremis du conflit qui se profilait entre Air Canada et ses pilotes, dimanche dernier.


La politique, l’opinion publique et les augmentations de salaire aux États-Unis ont aidé à pousser Air Canada vers un accord qui assure d’importantes hausses de rémunération pour ses pilotes, estiment des experts.

Négocié ce week-end, l’accord comprend une augmentation salariale cumulative de près de 42 % sur quatre ans – une hausse énorme par rapport aux normes historiques – selon une source non autorisée à s’exprimer publiquement sur le sujet. Le précédent contrat de 10 ans ne prévoyait que des augmentations annuelles de 2 %.

Un non-interventionnisme qui a joué

Le refus déclaré du gouvernement fédéral d’intervenir a ouvert la voie à un accord,  souligne John Gradek, après que le premier ministre Justin Trudeau ait clairement indiqué que les deux parties devaient trouver une solution par elles-mêmes.

« L’opinion publique a essentiellement poussé le cabinet fédéral, y compris le premier ministre, à ne pas s’immiscer dans les négociations et à éviter d’imposer un règlement », poursuit John Gradek, qui enseigne la gestion de l’aviation à l’Université McGill.

Après des pourparlers nocturnes dans un hôtel près de l’aéroport Pearson de Toronto, la plus grande compagnie aérienne du pays et le syndicat représentant plus de 5 200 pilotes ont annoncé tôt dimanche matin qu’ils étaient parvenus à un accord provisoire, évitant ainsi une grève qui aurait cloué les vols au sol et affecté environ 110 000 passagers par jour.

Un gouvernement fragilisé

La précarité relative du gouvernement minoritaire libéral ainsi qu’un effort pour paraître plus favorable aux travailleurs expliquent l’approche non interventionniste du premier ministre dans les négociations.

Vendredi, Justin Trudeau a en effet déclaré que le gouvernement n’interviendrait pas pour résoudre l’impasse, contrairement à l’arrêt massif de travail dans le secteur ferroviaire le mois dernier et à la grève des mécaniciens de WestJet durant le long week-end de la fête du Canada, que les travailleurs avaient qualifié de violation de leur droit constitutionnel à la négociation collective.

Justin Trudeau a affirmé que le gouvernement respectait le droit de grève et n’interviendrait que s’il devenait évident qu’aucun accord négocié n’était possible.

« Ils ont estimé qu’ils ne voulaient pas tenter une troisième intervention et ont essentiellement dit : “Laissez la compagnie aérienne décider comment elle veut gérer cela” », croit John Gradek.

Le gouvernement Trudeau était également peu susceptible de considérer une législation de retour au travail après que le NPD eut rompu son accord pour soutenir le gouvernement minoritaire libéral au Parlement, poursuit John Gradek. Pierre Poilievre, chef du Parti conservateur qui a traditionnellement adopté une ligne plus favorable aux entreprises, a également déclaré la semaine dernière que les conservateurs « soutiennent les pilotes » et a rejeté l’idée de « préempter » les négociations.

Le SOS manqué d’Air Canada

Le PDG d’Air Canada, Michael Rousseau, avait demandé jeudi à Ottawa d’imposer un arbitrage contraignant de manière préventive – « avant que toute perturbation des voyages ne commence » – en cas d’échec des pourparlers.

Soutenu par les chefs d’entreprise, il espérait un scénario similaire à celui de 2012, lorsque les conservateurs avaient légiféré pour empêcher une grève des pilotes et du personnel au sol d’Air Canada avant même qu’elle ne commence.

Cependant, cette demande aurait pu échouer. Selon John Gradek, il y avait moins d’inquiétude quant aux conséquences d’une grève aérienne que d’un arrêt des chemins de fer à l’échelle nationale. Le spécialiste estime également que la frustration du public face à des milliers de vols annulés se serait dirigée vers Air Canada plutôt que vers Ottawa, poussant la compagnie à concéder un accord offrant des gains « sans précédent » pour les employés.

« Ce fut vraiment un effondrement total de la position de négociation d’Air Canada », dit John Gradek. De leur côté, les pilotes voteront dans les prochaines semaines sur le contrat de quatre ans.

Des précédents aux États-Unis

L’an dernier, les pilotes de Delta Air Lines, United Airlines et American Airlines ont obtenu des accords incluant des augmentations de salaire sur quatre ans allant de 34 % à 40 %, augmentant la pression sur d’autres compagnies aériennes pour augmenter les salaires.

Après plus d’un an de négociations, Air Canada avait proposé en août une offre axée sur une augmentation de 30 % des salaires sur quatre ans. Mais l’accord final, si les membres du syndicat l’approuvent, prévoit une augmentation de 26 % dès la première année, rétroactive à septembre 2023 selon la source. Trois augmentations salariales de 4 % suivraient en 2024, 2025 et 2026.

Qui paiera la facture?

Les passagers pourraient finir par assumer une partie de cette charge financière, relève cependant un autre expert. « En fin de compte, ce sont nous, les consommateurs, qui payons », dit Barry Prentice, directeur de l’institut des transports de l’Université du Manitoba.

Toutefois, la persistance des compagnies aériennes à bas prix comme Flair Airlines et l’expansion rapide de Porter Airlines – un concurrent en pleine croissance d’Air Canada –, ainsi que la baisse de la demande pour les voyages de loisirs, pourraient atténuer la hausse des tarifs. Les voyages d’affaires restent également en dessous des niveaux précovidiens.

D’autres tensions à venir?

Dimanche dernier, Air Canada a déclaré que le contrat provisoire « reconnaît les contributions et le professionnalisme du groupe de pilotes d’Air Canada, tout en offrant un cadre pour la croissance future de la compagnie ».

De son côté, le syndicat a publié une déclaration indiquant que, s’il est ratifié, l’accord générera environ 1,9 milliard de dollars de valeur supplémentaire pour les pilotes d’Air Canada au cours de la durée de l’accord.

Pendant ce temps, des tensions avec le personnel de cabine se profilent à l’horizon. Air Canada s’apprête à entamer des négociations avec le syndicat représentant plus de 10 000 agents de bord cette année, avant l’expiration du contrat le 31 mars.