En dépit de ses succès financiers de 2023 dévoilés, le plus grand transporteur canadien relâche les gaz pour faire face à plusieurs facteurs incertains appréhendés.
Par Christopher Reynolds, La Presse Canadienne
Malgré de solides bénéfices et des réservations au beau fixe au cours du trimestre dernier, et alors que sa reprise postpandémie se poursuit, Air Canada fait le choix d’avancer avec plus de prudence sur le chemin de la croissance, cette année.
La plus grande compagnie aérienne du pays vise ainsi à limiter l’augmentation de sa capacité de vol de 6 à 8 %, en-deçà des attentes des analystes, qui tablaient sur une augmentation de 10 %.
« C’est raisonnable pour nous alors que nous continuons à assister à des pressions sur la chaîne d’approvisionnement de l’industrie, et à d’autres facteurs contraignants », a expliqué le responsable de la planification du réseau, Mark Galardo, lors d’une conférence téléphonique avec des analystes, vendredi dernier.
Ces pressions peuvent inclure des retards de production chez Boeing et Airbus, avec au moins une livraison d’avions reportée à 2025, pour Air Canada.
Ce ralentissement volontaire du transporteur signifie qu’il ne dépassera pas les niveaux de capacité de 2019 avant 2025, soit cinq ans après que la pandémie ait frappé l’industrie du voyage.
Le ralentissement suggère également que « l’expansion rapide des routes de loisirs pourrait être réduite », estime pour sa part l’analyste de RBC Marchés des Capitaux, Walter Spracklin. « Une situation qui contraste » avec les plans des autres grandes compagnies aériennes d’Amérique du Nord, observe Savanthi Syth, de Raymond James Financial.
Une demande stable malgré une baisse en bourse
Vendredi dernier, les actions d’Air Canada ont chuté de 1,26 $ (soit près de 7 %), pour clôturer à 18,00 $ à la Bourse de Toronto.
Néanmoins, la demande à court terme reste stable, avec des réservations anticipées en hausse de 6 % d’une année sur l’autre, au quatrième trimestre. Air Canada a ainsi réalisé des bénéfices presque 10 % plus élevés d’une année sur l’autre, même si elle peinait à contenir l’augmentation des coûts qui ont affligé l’industrie.
Une année 2023 prolifique
Plus de vols et des tarifs plus élevés sur les voyages internationaux, notamment sur l’Atlantique et le Pacifique, ont entraîné une hausse de 12 % des revenus passagers, au dernier trimestre, par rapport à l’année précédente, estime le PDG Michael Rousseau.
Celui-ci a qualifié l’année complète de « très réussie », les bénéfices nets sur 12 mois passant d’une perte de 1,7 milliard de dollars en 2022 à un bénéfice de 2,28 milliards de dollars en 2023. Les bénéfices ajustés de 521 millions de dollars au quatrième trimestre ont marqué un bond de 34 %, bien que ce chiffre soit tombé en dessous des attentes du consensus de 548 millions de dollars, selon la firme de données financières Refinitiv.
Le coût de la main d’œuvre à la hausse
Une partie de ce manque à gagner provenait d’une augmentation de 21 % des coûts de main-d’œuvre trimestriels découlant de l’emploi de 3 200 travailleurs supplémentaires au 31 décembre, par rapport au début de l’année, ainsi que de « l’inflation salariale » et de la participation aux bénéfices, explique le directeur financier John Di Bert.
Les coûts plus élevés représentent une grande partie de l’incertitude à laquelle Air Canada est confrontée cette année. Une nouvelle entente avec près de 5 300 pilotes, présentement en négociation, devrait faire grimper les salaires d’un montant encore indéterminé.
D’autres contraintes nettes
Les règles de compensation des clients en cours d’élaboration font également partie des « contraintes nettes » qui vont à l’encontre des marges bénéficiaires, de même que les hausses probables des frais aéroportuaires, dit John Di Bert. Air Canada prévoit une hausse de 2,5 à 4,5 % du coût par siège disponible-mille, un indicateur clé de l’efficacité, après une augmentation de 4,1 % l’année dernière.
« Les coûts sont nettement plus élevés que ce qui était attendu précédemment », constate Walter Spracklin chez RBC. Malgré des plans de croissance moins ambitieux, l’entreprise a relevé ses perspectives de bénéfices ajustés pour 2024 à entre 3,7 milliards et 4,2 milliards de dollars contre 3,5 milliards à 4 milliards de dollars précédemment. Cela signifie que les bénéfices dépendront encore plus de tarifs plus élevés, « ce qui, selon nous, présente un risque », estime Walter Spracklin.
Une concurrence plus forte
La concurrence est un autre domaine à surveiller, alors que Porter Airlines, Flair Airlines et Lynx Air s’efforcent de réaliser des expansions ambitieuses. « Cependant, des articles de presse suggèrent que Flair et Lynx – tous deux soupçonnés d’avoir des difficultés financières – pourraient être en pourparlers de fusion », rappelle Cameron Doerksen, analyste à la Banque Nationale.
Une acquisition réduirait probablement la croissance sur le marché du voyage aérien à bas tarifs, estime l’expert. Ce serait aussi une bonne nouvelle pour les investisseurs « de plus en plus préoccupés » par Air Canada, qui affronte déjà Flair et Lynx sur des routes représentant 28 % de sa capacité intérieure ce trimestre, ajoute-t-il.
Des conditions de travail à renégocier
L’an dernier, une partie du personnel de Delta Air Lines, United Airlines, American Airlines et Southwest Airlines a obtenu des ententes comprenant des hausses salariales sur quatre à cinq ans allant de 34 à 50 %.
Jusqu’à 500 pilotes d’Air Canada cherchent eux aussi à négocier de meilleures conditions, selon l’Association des pilotes de ligne qui les représente. Le syndicat, dont l’accord collectif décennal a expiré en septembre 2023, est entré en médiation privée avec le transporteur, le mois dernier.
« Nous attendons avec impatience de bénéficier, nous aussi, du succès de l’entreprise », dit Charlene Hudy, qui dirige la délégation d’Air Canada du syndicat, notant le levier potentiel de négociations que représente la pénurie mondiale de pilotes.
Des bénéfices en hausse
Vendredi, Air Canada a annoncé que son bénéfice net était passé à 184 millions de dollars au quatrième trimestre, contre 168 millions de dollars un an plus tôt. Le chiffre d’affaires d’exploitation a augmenté de 11 % pour atteindre 5,18 milliards de dollars au cours des trois mois se terminant le 31 décembre, contre 4,68 milliards de dollars à la même période, en 2022. Quant à la capacité d’exploitation du quatrième trimestre, elle a augmenté de 9 % par rapport à l’année précédente.
Les dépenses d’exploitation ont pour leur part augmenté de 8 %, en partie en raison de coûts plus élevés liés à l’augmentation du trafic, quelque peu compensés par des prix du carburant plus bas.
Sur une base ajustée, Air Canada a enregistré une perte de 12 cents par action après dilution, au dernier trimestre, contre une perte ajustée de 61 cents par action après dilution, un an plus tôt. Le résultat est inférieur aux attentes des analystes d’une perte ajustée de quatre cents par action, selon Refinitiv.