De plus en plus d’entreprises annulent leurs déplacements d’affaires chez nos voisins du sud, face à l’incertitude qui prévaut lors des contrôles douaniers.
D’abord sont venues les menaces de tarifs douaniers. Puis, les moqueries sur une éventuelle annexion.
Mais ce n’est qu’après avoir lu des informations concernant des étrangers détenus en tentant d’entrer aux États-Unis qu’Oscar Acosta a décidé d’annuler trois déplacements professionnels prévus de l’autre côté de la frontière.
Il était « déterminé à maintenir ses plans jusqu’au mois dernier » — lorsqu’il a découvert l’histoire de Jasmine Mooney, une actrice et entrepreneure canadienne de 35 ans, détenue pendant 12 jours après avoir redemandé un visa de travail à la frontière américaine de San Diego, et avant d’être bannie des États-Unis pour cinq ans.
« Cela m’a glacé le sang », a confié Acosta, PDG de Body M3canix, une jeune pousse d’Ottawa qui conçoit des appareils de suivi de la condition physique pour des environnements extrêmes.
« En tant qu’entrepreneur, issu d’une minorité visible — puisque j’ai des origines hispaniques —, est-ce que je ne risquais pas de vivre la même chose que cette femme ? »
Un cas parmi tant d’autres
Et il n’est pas le seul. Partout au pays, des Canadiens annulent leurs voyages d’affaires, se retirent de conférences et congrès et évitent de réserver des déplacements vers les États-Unis, alors que la réaction contre Donald Trump se répercute sur le secteur du voyage d’affaires.
Chez Flight Centre Travel Group Canada, les voyages d’affaires par avion entre les deux pays ont chuté de près de 40 % en février, comparativement à l’année précédente, a indiqué le directeur général Chris Lynes.
« Nous avons clairement reçu un afflux immédiat d’annulations pour des conférences qui devaient se tenir aux États-Unis », a-t-il déclaré, précisant que le pic des annulations avait été atteint il y a deux mois.
« Les gens étaient très anxieux à l’idée de voyager aux États-Unis à cause de la colère envers le gouvernement américain. »
Tant pis pour les dépenses encourues!
Les entreprises ayant annulé — malgré des pénalités ou des dépôts perdus — proviennent de secteurs aussi variés que les banques, les assurances ou les manufactures.
« L’un de nos clients dans le secteur bancaire a annulé six événements aux États-Unis », a précisé Lynes. Les destinations comprenaient New York, Dallas, Washington D.C. et, surtout, Las Vegas.
Son agence a même informé ses employés qu’elle comprendrait s’ils ne se sentent pas à l’aise de traverser la frontière pour participer à un événement de l’entreprise à Los Angeles cet été.
« Vous pouvez faire partie d’un groupe ciblé, a-t-elle expliqué. Vous pouvez avoir une double citoyenneté, être détenteur d’un visa. Beaucoup de gens ne veulent tout simplement pas voyager parce qu’ils ne se sentent ni en confiance ni en sécurité. » Et les répercussions ne seront pas de courte durée.
Des annulations… jusqu’en 2027!
Selon des experts, les annulations s’étendent jusqu’en 2027. Quant aux futurs événements d’entreprise dont la destination n’est pas encore fixée, ils pourraient avoir lieu au Canada, au Mexique ou ailleurs, plutôt qu’aux États-Unis.
Alors qu’un élan de patriotisme économique a émergé en réponse aux tarifs douaniers — qu’ils soient réels ou simplement menacés — ainsi qu’aux moqueries de Trump qualifiant le Canada de « 51e État » et appelant l’ancien premier ministre Justin Trudeau « gouverneur du Canada », les entreprises sont parmi celles qui ressentent le plus durement les conséquences d’une guerre commerciale.
Mais la réaction n’est pas unanime, et des tensions apparaissent au sein de certaines organisations, partagées entre l’envie de maintenir ou non leurs retraites d’entreprise, avec des sentiments mitigés chez les employés.
Des événements maintenus malgré tout
Une conférence de Royal LePage, prévue à Nashville en septembre, aura lieu comme prévu car « les fonds ont déjà été dépensés », a écrit le PDG Phil Soper dans une note interne obtenue par La Presse Canadienne.
Le message indiquait qu’il y avait eu de l’incertitude quant au maintien de l’événement et que certains agents pourraient prendre la « difficile décision » de ne pas y participer.
« Les engagements financiers pour sécuriser l’événement ont été pris bien avant la situation politique actuelle, et annuler maintenant ne ferait que nuire à notre propre réseau — pas à Trump ni à l’économie américaine », a-t-il écrit dans sa note du 10 avril.
La baisse des voyages d’affaires reflète une diminution plus générale des voyages vers les États-Unis. Les retours au Canada en voiture ont ainsi chuté de 32 % le mois dernier par rapport à l’année précédente, selon Statistique Canada. Les retours en avion ont, eux, diminué de 13,5 %.
Renoncer à ces déplacements — pourtant essentiels au développement des compétences, au travail d’équipe ou à la signature de contrats — est rarement une décision facile.
Pourquoi se mettre en danger?
Oscar Acosta avait déjà réservé des chambres d’hôtel pour un voyage à Boston, en mai dernier, afin de rencontrer des investisseurs potentiels, et d’autres chambres pour une conférence aéronautique en Californie en juillet. Il s’était aussi inscrit à une conférence aérospatiale en début d’année prochaine à Orlando, où il devait animer plusieurs discussions.
« J’ai même acheté de nouveaux pneus pour être en sécurité, dit-il. J’avais planifié l’itinéraire… J’avais même fait faire le passeport de mon chien. Mais j’ai tout annulé. »
Aujourd’hui, il craint de rater des occasions clés pour rencontrer des investisseurs et récolter des fonds. Mais pour lui, la décision était claire.
« Pourquoi me mettre en danger ? »