J’ai toujours aimé la marche en montagne. Au début, plus je multipliais les expériences de trekking, plus je désirais fouler des sommets ambitieux dans des régions sauvages, difficiles d’accès. Pour ma toute première expédition en montagne, j’étais servie: on m’offrait le Kilimandjaro sur un plateau d’argent! À l’invitation d’une compagnie d’équipements de plein air, je partais un beau matin, direction la Tanzanie, pour ce qui allait être la première vraie expérience en altitude de ma vie. Quelque six mois auparavant, j’avais entamé un entrainement cardio-vasculaire qui me paraissait le plus adapté: des séances de course à pied deux à trois fois par semaine. Bien sûr, j’avais aussi enchaîné quelques bonnes randonnées au Québec mais rien qui pût me donner un aperçu de ce qui allait m’attendre dans une atmosphère appauvrie en oxygène.
Le sommet du Kilimandjaro – je l’avais lu sur toutes les tribunes encyclopédiques – avoisine les 6 000 m, ce qui réduit le taux d’oxygène de moins de 50% par rapport à celui du niveau de la mer. J’avais également lu que le mal aigu des montagnes (MAM) a peu rapport avec la forme physique; c’est comme le pied marin, certains l’ont, d’autres pas. Forte de mon entraînement aérobie progressif, j’avais fini par courir d’un bon pas durant plus de 45 minutes sans pause.
Cette ascension du Kilimandjaro fut à la fois l’une des plus belles et l’une des plus rudes expériences de ma vie de néo-montagnarde. L’une des plus belles parce qu’elle m’avait dévoilé durant une petite semaine le spectacle grandiose de la haute montagne, l’enfilade des nuages qu’on voit se disloquer au-dessous de soi, et le sentiment d’apprivoiser l’inconnu dans un milieu d’une rare beauté. L’une des plus rudes expériences aussi parce malgré ma préparation, je sentais que mon corps franchissait, à mesure que je progressais, les limites du confort et même de la sécurité. J’avais pourtant réussi à me rendre au sommet de Uhuru Peak, à 5 895 m, après une ascension finale nocturne durant laquelle j’avais dû m’arrêter plusieurs fois pour reprendre mon souffle sur le sentier vertical. J’avais laissé tout le crédit de ce «succès» au professionnalisme bienveillant de mon guide chagga, Alex, qui m’avait prodigué tant d’encouragements durant la progression que je n’aurais pas eu le cœur de le décevoir! Ma première expérience se présentait donc comme un demi-succès: le sommet, oui, mais au prix d’un effort qui l’avait rendu très inconfortable.
DIX ANS PLUS TARD
Me voilà à nouveau en expédition sur les sentiers du Kilimandjaro, mais avec une différence de taille: la durée de l’expédition. Cette fois-ci, nous programmons l’ascension sur 8 jours, puis sur près de deux pour revenir au point de départ. J’ai dix ans de plus au compteur, mais j’ai procédé à un entraînement plus complet, insérant des séances d’exercices musculaires (surtout pour les jambes) entre chaque sortie de course à pied. Et, surtout, je connais un peu plus la haute montagne et ses effets tant sur le métabolisme que sur le mental. Durant ces dix années, j’ai foulé quelques sommets des Andes (Pérou, Bolivie) puis de l’Himalaya (Népal). Et je connais un peu mieux les sensations d’essoufflement, de fatigue musculaire, la baisse d’appétit, l’indolence psychique et les problèmes de sommeil reliés au gain d’altitude. Assez pour ne pas les laisser gruger le plaisir que j’ai à me retrouver un peu plus haut qu’à l’ordinaire. «Le Kilimandjaro se gravit autant avec le corps qu’avec l’esprit», dit un adage tanzanien. C’est vrai pour le sommet de l’Afrique mais c’est aussi vrai pour tout autre. Je sais désormais qu’à vouloir compléter l’ascension trop vite, on réduit ses chances de se rendre au but. Car la seule vraie difficulté du Kilimandjaro se résume bel et bien à son environnement hypoxique, le sentier ne présentant aucun obstacle technique.
Je suis arrivée, cette fois, au sommet d’un pas bien plus sûr et avec un mental en béton, un grand sourire affiché sur ma face. Il est vrai que j’avais bénéficié, durant l’expédition, du suivi et des conseils précieux de mon ami, le guide et chef d’expédition Emmanuel Daigle, le spécialiste québécois de la préparation à la haute montagne.
LES RÈGLES D’UNE ASCENSION RÉUSSIE
Emmanuel est un alpiniste expérimenté, pas le plus chevronné dans la communauté des aspirants aux sommets extrêmes, mais sa feuille de route est solide. Et surtout, il se passionne depuis des années au sujet de tout ce qui rend une expédition plus accessible et donc plus agréable: entraînement, nutrition, technique d’ascension, suivi paramédical et même l’équipement. Durant les dix jours de l’aventure, notre guide procédait à un suivi quotidien de chacun des membres pour évaluer leur acclimatation et ainsi, éviter les risques d’œdème. Car le plus grand danger, même sur cette montagne relativement facile, c’est de passer à côté d’un diagnostique vital qui risquerait d’entraîner la mort. (On déplore chaque année de nombreux accidents mortels sur le Kilimandjaro.)
Si l’œdème localisé de haute montagne est le signe d’une acclimatation incomplète qui disparaît généralement après une journée passée en altitude, il en est tout autre pour l’œdème pulmonaire et, dans le pire des cas, pour l’œdème cérébral. En prenant le taux de saturation d’oxygène chaque soir, Emmanuel suivait la progression continue de l’acclimatation des membres de l’expédition, évitant ainsi tout risque sur leur sécurité. Grâce à cela, l’expédition avait été couronnée de succès pour la plupart d’entre nous.
C’est dans son livre Haute altitude, du trek à l’expédition qu’Emmanuel Daigle résume tous les éléments à considérer pour s’aventurer dans une ascension en haute montagne (dès 2 500 m) en toute sécurité. Cet ouvrage de référence a été salué, dès sa sortie en 2015, comme le premier du genre à détailler avec rigueur tout ce qui assure le succès d’une expédition: optimisation tant physique que mentale, meilleurs choix en terme d’équipement, médication, accompagnement professionnel et contre-indications. Emmanuel Daigle vient de créer également l’Académie haute-montagne, une plateforme web interactive, avec des vidéos dédiées à la préparation d’un trek en altitude. En s’y abonnant, chaque membre dispose ainsi d’une information rigoureuse pour planifier son projet, qu’il parte en solo ou avec les services d’une agence spécialisée.
À l’heure où le sommet de l’Everest n’a jamais été aussi populaire – et aussi meurtrier – ce livre s’impose en référence pour qui rêve – comme moi – de voir le monde d’un peu plus haut.