Franck Laboue
L’aventurier épicurien
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PARC NATIONAL DE BAKO : LA JUNGLE DE BORNÉO
En pensant à l’Asie, la Malaisie est rarement en tête des premières images qui nous viennent à l’esprit. Bornéo fait partie de ces contrées du monde qui semblent réservées aux aventuriers, aux routards et aux autres globe-trotters qui parcourent le monde en sac à dos. Et pourtant, rien n’est plus accessible que l’exploration de ce morceau sauvage de la planète.
À l’évocation du mot Bornéo, des images apparaissent; la jungle épaisse, les orangs-outans et la nature avec un grand N. C’est sur cette île du bout du monde que l’on part à la rencontre d’une biodiversité unique, de jungles impénétrables et de tribus à demi sauvages. Bornéo est pour moi un petit bout de paradis perdu.
Si vous me demandiez quelle a été ma plus belle aventure jusqu’à présent, je vous répondrais sans sourciller le nom de cette terre mythique, remplie de chimères. C’est dans la province du Sarawak que se trouve le parc national de Bako, l’un des plus impressionnants de toute l’île. Suivez-moi dans la jungle, sur les traces des singes nasiques.
BORNÉO OU MON RÊVE D’AVENTURIER
Bornéo… à chaque évocation de ce mot, je frémis encore. C’était mon rêve de toujours; une sorte de mythe inatteignable. Pour certains, il s’agit de Zanzibar, pour d’autres, le Sahara. Dans mon esprit, ça reste toujours Bornéo.
En atterrissant à Kuching, porte d’entrée du Sarawak, c’est une belle petite cité qui m’accueille. Pourtant, la jungle n’est pas très loin. Ici, le voyageur est sur les terres de tribus locales. Les Dayaks et Ibans furent les fameux chasseurs coupeurs de têtes qui hantèrent les explorateurs d’antan.
C’est avec ces images des premiers Occidentaux en tête que je fais mes premiers pas sur les terres de tous mes fantasmes. J’imagine des hommes en casques coloniaux, leur chemise remplie de sueur avec une tribu de porteurs en arrière, défrichant la jungle à coups de machette. Un temps où aventuriers et explorateurs bravaient les éléments en quête de richesses et de découvertes. Je dors sur ces images tirées des romans de ma jeunesse. Demain, l’aventure commence.
UN PARC NATIONAL AU BORD DE LA MER
Bako est assurément le parc national le plus accessible de Bornéo, situé à seulement 45 minutes de route de Kuching. Avec ses 27 kilomètres carrés, c’est également le plus petit des parcs de l’État. Plus nous nous éloignons de la ville, plus le paysage se transforme. Nous atteignons un village sur pilotis, porte d’entrée du parc national : Bako n’est accessible que par bateau !
C’est un parc unique en son genre; retrouver la jungle au bord de la mer est plutôt inusité. Une petite embarcation m’emmène et remonte une rivière infestée de crocodiles. Ici, les marées décident de notre sort. J’atteins alors la mer. Je n’ai pas encore mis les pieds dans le parc que déjà, il fascine. D’immenses falaises me font de l’ombre, des roches jaunes sont découpées par les vagues, çà et là, et quelques arbres s’accrochent encore à la pierre. Le trajet est merveilleux, l’eau est claire et la côte magnifique.
Le temps du trajet, je n’ai pas l’impression d’être à Bornéo. C’est un décor de carte postale qui m’accueille : une plage de sable fin entourée de falaises; c’est le panorama parfait. Le bateau me laisse sur la crique et c’est les pieds dans l’eau que je remonte la plage et arrive au centre d’accueil à l’orée de la forêt. J’y suis, la forêt humide est presque à moi, l’entrée en matière était déjà prometteuse.
UNE FAUNE UNIQUE AU MONDE
Loin de n’être qu’une longue bande de côte paradisiaque, Bako, c’est surtout une flore et une faune d’une richesse unique au monde. Ici, on parle même de « mégabiodiversité », un terme rare qui ne s’applique qu’à cette région, ainsi qu’à l’Amazonie.
Sur mon chemin, je croise de nombreuses plantes carnivores de toutes les formes, mais c’est surtout les animaux que l’on vient rencontrer à Bako. Les forêts sont remplies de sangliers, de macaques peu craintifs et d’autres macaques à longue queue si reconnaissables avec leurs poils argentés et leur allure de “punk des bois”.
Les stars du parc, ce sont tous ces singes, mais l’indétrônable vedette a une silhouette bien à elle : le singe nasique. Difficile de décrire une rencontre avec un tel mammifère. Il s’agit de l’un des animaux les plus étranges de la création. Endémique à l’île de Bornéo, le nasique est reconnaissable à son poil roux, mais surtout grâce à son énorme appendice nasal !
Un nez lui tombant dans la bouche et un ventre bedonnant sont sa marque de fabrique. C’est une image étrange. De loin, il nous ferait presque penser à un homme de la forêt. C’est un singe à l’air attachant. Ce sont uniquement les mâles qui portent ce nez proéminent, les femelles, elles, sont munies d’un petit nez en trompette. Les locaux appellent affectueusement le singe nasique le “Hollandais”, en référence à l’ancien colonisateur européen. Cet animal rappelle les cheveux clairs, le nez occidental et la bedaine de nos amis Bataves ! Le nasique reste difficile à appréhender; vous aurez plus de chance en début de journée. Il peut être alors intéressant de dormir la veille au lodge du parc.
LA JUNGLE : L’ENFER VERT
C’est l’appel de la jungle; le sentier devant moi m’aspire dans la forêt. L’humidité m’écrase malgré l’ombre des arbres. Ce n’est pas un hasard si les naturalistes du 19e siècle vinrent ici pour trouver leurs réponses à la théorie de l’évolution. On retrouve sept écosystèmes différents à Bako.
Sur un si petit territoire, c’est imposant. Au début de ce trek, je croise une mangrove à marée basse; ornée d’arbres morts, elle offre un panorama mystique auquel je ne m’attendais pas. La mangrove fait place à la plage, puis aux marais où des crabes bleus étincelants jouent à cache-cache dans la vase.
La forêt mixte, la prairie et les falaises jouxtent un territoire étriqué. C’est une randonnée magique. Ça y est, je suis dans la jungle de mes rêves et malgré la chaleur et la moiteur qui m’assaillent, je jubile. Les arbres gigantesques se chevauchent, les lianes s’entremêlent; impossible d’apercevoir quoi que ce soit dans ce chaos de feuilles et de branches. Que dire du bruit, c’est une pure symphonie permanente qui ne me quittera pas de la journée.
Des sons qui me faisaient rêver jouent, tel un orchestre en plein air, une musique où les musiciens sont composés d’oiseaux et d’autres insectes. Impossible d’apercevoir ces petits animaux au travers de cette forêt impénétrable. Les sentiers sont chaotiques, un enchevêtrement de racines ne facilite souvent pas le passage, quelques morceaux plus abrupts doivent être franchis presque à la main tellement le sol est glissant. Mais que de bonheur dans ces difficultés; c’est un rêve qui se réalise.
ENTRE PLAGES ET FORÊTS : UN SITE UNIQUE
La fin du sentier approche. Coupant un morceau de la péninsule en deux, il nous amène alors sur le sable d’une crique isolée. Sortir de la forêt et tomber sur ce lieu de robinsonnade est exquis, j’ai presque l’impression d’être Leonardo Dicaprio dans le film La Plage!
Entouré de deux falaises, la forêt et son bruit tonitruant derrière moi, je regarde les eaux bleues de la mer de Chine méridionale; que de contrastes. Des embarcations arrivent, elles font la navette pour ramener les promeneurs au centre d’accueil. De retour, le sourire aux lèvres, je scrute cette côte déchirée remplie de mystère… quel parc étrange.
Une autre petite marche autour de l’accueil nous réservera une surprise de taille. Si les écureuils sont courants par chez nous, ici, c’est le terrain de jeu… des lémurs volants ! Imaginez un petit mammifère à tête de furet doté d’une membrane entre ses membres lui permettant de voler entre les arbres. Vous avez alors tout l’écosystème de Bornéo résumé devant vous: un animal enserrant les troncs d’arbres avec ses ailes.
Il est déjà temps de quitter la jungle de Bako. Sur la barque de bois qui quitte les rives du parc en cette fin de journée, j’observe l’horizon de la forêt avec sa musique plein les oreilles. Quelques volatiles virevoltent au-dessus des cimes des arbres, le clapotis des vagues m’éloigne doucement de cette terre magique, loin des nasiques et des lémurs.
3 INCONTOURNABLES
- Le sentier principal : ni trop long ni trop court, il permet d’apprécier toute la diversité de la faune locale sans revenir sur ses pas grâce au bateau navette.
- Dormir sur place : vous voulez observer les fameux singes nasiques ? En vous levant tôt depuis le lodge du parc, vous pourrez apprécier des familles entières de ces singes !
- Profiter de la plage : oui, on peut autant aller traverser la jungle que se prélasser sur le sable de la côte en un seul endroit !
3 AVANTAGES
- Accessible depuis Kuching, en faisant l’aller-retour pendant la journée.
- La diversité de la nature : faune, flore et écosystèmes variés.
- La possibilité de découvrir la jungle de Bornéo encadré de guides locaux.
3 INCONVÉNIENTS
- L’extrême humidité qui règne à Bornéo rend les marches difficiles.
- Les racines et le terrain ne permettent pas l’accès à tous les randonneurs.
- Parfois, on peut éprouver une certaine difficulté à apercevoir les animaux cachés derrière les feuilles.
POUR QUI ?
- Les amoureux de la nature, passionnés de faune et de flore qui trouveront à Bako un endroit unique.
- Les amateurs de randonnée et de trekking; la destination propose un terrain de jeu à la hauteur de leurs attentes.
COMMENT Y ALLER?
Depuis Kuala Lumpur, prendre un vol local pour Kuching, au Sarawak. Les excursions peuvent se faire à la journée aller-retour, en bus, puis sur la côte en bateau pour accéder au parc national.
QUAND Y ALLER?
En mi-saison, d’octobre ou février à mai. Les pluies et la chaleur rendent le terrain impraticable en été.
BUDGET À PRÉVOIR
Comptez une cinquantaine de dollars pour une nuit à Kuching. Le bus pour se rendre à la jetée coûte 7 $, tout comme le billet d’entrée pour le parc national. Le budget est moyen pour cette région, mais peut augmenter vite à cause de la dépendance des voyageurs aux moyens de déplacement et guides dans ces lieux reculés.
Verdict du chroniqueur
« L’un des plus beaux parcs nationaux de toute la Malaisie s’offre à vous sur l’île de Bornéo ! Accessible, magnifique et diversifié, il émerveillera les aventuriers dans l’âme et les amoureux de la nature. Voyager à Bako, c’est rencontrer une faune unique sur terre et vivre l’aventure de la jungle au bord de la mer. Une expérience unique en soi. »
À lire
Au cœur de Bornéo (Redmond O’Hanlon – 2001). Suivez le périple de deux apprentis explorateurs anglais en quête d’une montagne de Bornéo. Accompagnés de Dayaks, ils vivront des aventures uniques, teintées d’humour et de péripéties en tous genres. Une rencontre avec les habitants et la jungle de Bornéo.
Alfred R. Wallace, l’explorateur de l’évolution (Peter Raby – 2013). Suivez l’histoire captivante de l’explorateur et théoricien Alfred Wallace. Au fin fond de la Malaisie, il découvre les mécanismes de l’évolution après 12 années de travaux. Son exposé envoyé à Darwin va révolutionner le monde.