Moins de deux ans après son lancement, Canada Jetlines emprunte la même voie que d’autres transporteurs canadiens, incapables d’être rentables et forcés de mettre fin à leurs opérations.
Il lui aura fallu des années pour décoller, mais à peine 24 mois pour s’effondrer brusquement.
Hier, un porte-parole de Canada Jetlines a déclaré que la société « avait exploré toutes les alternatives de financement disponibles, y compris les transactions stratégiques et les financements par actions et par emprunts; malheureusement, malgré ces efforts, la société n’a pas été en mesure d’obtenir le financement nécessaire pour continuer ses opérations. »
Dès après, le transporteur a cloué au sol ses avions et cessé ses opérations. Les passagers qui ont des réservations existantes sont invités à contacter leur société de carte de crédit pour obtenir remboursement. Mais le transporteur affirme que la suspension de ses opérations n’est que temporaire, avec des plans pour déposer une demande de protection contre les créanciers.
Un transporteur allié des conseillers
C’est un scénario familier pour les conseillers en voyages canadiens qui ont vu plus d’une compagnie aérienne venir et disparaître, au fil des ans.
Contrairement à de nombreux autres transporteurs en démarrage, Canada Jetlines a cependant soutenu les agents de voyages dès le départ. Le transporteur a en effet assuré une distribution au détail et des partenariats GDS, mais aussi offert des commissions et travaillé ferme pour obtenir le soutien des agents avec des voyages de familiarisation et des concours.
La stratégie de Canada Jetlines contrastait fortement avec celle d’un autre nouveau venu, Lynx Air, aujourd’hui disparu. Dès ses débuts, Lynx a opté pour un modèle à bas coûts et n’a pas courtisé les agents de voyage. Finalement, aucune des deux compagnies aériennes n’a pu maintenir ses activités, Lynx Air ayant déposé le bilan en février dernier.
En décembre 2023, le PDG de Porter Airlines, Michael Deluce, considérait déjà que le marché du voyage était trop restreint pour maintenir toutes les compagnies aériennes canadiennes à flot pendant deux ans de plus. En moins d’un an, il a eu raison deux fois.
Gérer la confusion
Lorsque Canada Jetlines a décollé pour la première fois en septembre 2022, la demande de voyages était en plein essor après la pandémie, ce qui a alors donné lieu à un fort élan au lancement du nouveau transporteur. À l’époque, son objectif était de disposer de 15 avions d’ici l’été 2025.
Si l’essor postpandémique a mis en lumière Canada Jetlines et Lynx, il a également entraîné de la confusion entre les deux transporteurs, le premier étant souvent assimilé au second comme étant un autre transporteur à bas coûts. Or, Canada Jetlines n’en était pas un, mais sans un message clair pour le contredire, les voyageurs pouvaient ne pas savoir quoi penser de la nouvelle marque. Les publicités destinées aux consommateurs semblaient également peu nombreuses.
Pendant ce temps, le long chemin de Canada Jetlines vers le lancement a fait de son décollage une sorte de miracle. En septembre 2019, alors que la jeune pousse se positionnait encore comme un transporteur à ultra bas coûts, des appels pour plus de financement ont eu lieu et des dates de lancement ont été repoussées. En octobre 2019, le transporteur a même procédé à des licenciements et a vu son PDG quitter l’entreprise.
Une histoire plus ancienne qu’on le pense
Mais l’histoire de la compagnie aérienne remonte à encore plus loin. En 2015, Duncan Bureau, alors vice-président, Ventes mondiales d’Air Canada, avait été interrogé sur les chances de succès pour des jeunes pousses comme Canada Jetlines. « C’est un marché à forte intensité de capital et le Canada est déjà bien desservi, avait alors déclaré le gestionnaire à l’époque. Je pense que ce serait difficile et que le Canada n’a pas de place pour une autre compagnie aérienne, mais le temps nous le dira. »
Duncan Bureau a fini par rejoindre Canada Jetlines en 2021 en tant que directeur commercial, avant de quitter l’entreprise en 2023. Mais il a toujours soutenu les conseillers en voyages.
Une campagne « jouant avec la provocation »
En plus des nombreux retards et démissions des cadres, la période précédant le lancement du transporteur a également compris une poursuite judiciaire et une campagne publicitaire « jouant avec la provocation » en mettant de l’avant le slogan « Flying sucks less when you pay less » (Prendre l’avion est moins nul quand on paie moins).
Tout semblait bien se passer, le 22 septembre 2022, lorsque Canada Jetlines a finalement pris son envol de Toronto Pearson à destination de Calgary. D’autres liaisons ont suivi, y compris Toronto-Vancouver.
En plus de ses routes nationales, Canada Jetlines a ensuite lancé des vols Toronto-Las Vegas, Toronto-Cancún et d’autres destinations. La compagnie aéienne a également connu du succès avec des vols nolisés. À l’été 2023, elle disposait de trois avions.
Une réussite éphémère
Mais ça n’a pas duré. En février 2023, des rapports ont fait état d’un lancement retardé pour de nouveaux vols de Toronto vers Melbourne, en Floride. En même temps, Canada Jetlines annonçait avoir conclu un accord de prêt à terme non convertible pour 1,5 million de dollars avec Roosheila Group Inc.
En avril 2023, la compagnie aérienne déclarait suspendre ses liaisons intérieures pour se recentrer sur les destinations soleil et la location de ses avions. Le programme hiver 2023-2024 de la compagnie comprenait ainsi des vols de Toronto vers Cancún, Montego Bay, Las Vegas et Orlando.
À partir de ce moment, les mises à jour du transporteur sont devenues de plus en plus rares. Le départ de Duncan Bureau, à l’été 2023, a fait les gros titres, et en mai 2024, le PDG Eddy Doyle annonçait à son tour son départ de l’entreprise, le 30 juin.
Lundi dernier, la compagnie aérienne annonçait la démission de son état-major tout en assurant maintenir ses opérations. Mais parallèlement, les employés du transporteur recevaient un mémo les avisant de la fermeture imminente de l’entreprise – ce qui a été confirmé hier par voie de communiqué.
Un marché difficile
« Chaque fois que vous perdez un peu de concurrence sur le marché canadien, c’est un peu triste pour les voyageurs, car il en résultemoins de pression sur les prix », explique Jacques Roy, professeur en gestion des transports à HEC Montréal.
La fermeture de Canada Jetlines met en évidence les défis que pose la gestion d’une compagnie aérienne dans un vaste pays avec une population dispersée et à peine quelques plaques tournantes pour le transport aérien.
« Chaque fois qu’un nouvel acteur veut entrer sur le marché, il n’y a qu’une seule certitude : il va perdre de l’argent pendant les huit, neuf, dix premiers mois au moins, et peut-être même plus, poursuit Jacques Roy. Il faut donc un bon compte bancaire ».
« Les principaux acteurs joueront le jeu de la concurrence. Et si vous réduisez vos tarifs en dessous de votre coût, c’est une recette pour un échec à court terme, de conclure l’expert. C’est un marché difficile. »
Entre mars 2023 et mars 2024, Canada Jetlines a perdu 14,2 millions de dollars, malgré un bénéfice au cours de l’un des trimestres, selon des documents financiers. Ses revenus trimestriels se situaient entre 8 et 12 millions.
En mai, la société a obtenu un prêt de 2 millions de dollars auprès de Square Financial Investment, une société établie à Mississauga appartenant à Reg Christian, membre du conseil d’administration de Canada Jetlines, qui a été nommé vice-président exécutif à la suite de cette décision. Ce prêt est l’un des nombreux contractés par Canada Jetlines au cours des deux dernières années.
Avec la Presse Canadienne