Criblée de dettes et retardée par Boeing, Flair Airlines met un frein à son expansion

Le transporteur canadien à très bas tarifs doit notamment 67,2 millions de dollars à Revenu Canada.


Stephen Jones, PDG de Flair, annonce qu’il suspend les plans d’expansion de sa compagnie aérienne à très bas prix pour au moins un an, alors qu’elle fait face à des retards de livraison d’avions et à des dettes importantes.

« Cette année sera plus tranquille, mais nous envisagons une croissance forte en 2025 », dit-il.

Pas plus tard que l’automne dernier, le transporteur basé à Edmonton prévoyait augmenter sa flotte à 26 avions de ligne Boeing 737 Max en 2024, contre 20 actuellement. Mais les déboires de Boeing sont venus contrecarrer ces plans.

Le géant américain de l’avionnerie fait l’objet d’un examen minutieux de la part des régulateurs concernant son bilan en matière de sécurité, après l’explosion en vol d’un panneau latéral (porte-bouchon) plus tôt ce mois-ci, ce qui a cloué au sol les avions de ligne 737 Max 9 pendant des semaines.

Les appareils qui devaient être livrés au printemps ne le seront donc qu’à l’automne, dans le meilleur des cas, « ce qui n’est pas un bon moment pour accroître la capacité », indique le PDG.

 

Des dizaines de millions en impôts impayés

En outre, Flair Airlines doit 67,2 millions de dollars au gouvernement fédéral en impôts impayés, selon des documents judiciaires, ce qui a incité l’Agence du revenu du Canada (ARC) à obtenir une ordonnance de saisie et de vente des biens de la compagnie.

Le montant est lié aux droits d’importation impayés sur les 20 avions Boeing qui composent la flotte de Flair Airlines, explique Stephen Jones, qui précise que l’ordonnance de la Cour fédérale obtenue par l’agence fiscale, en novembre dernier, n’a aucun impact sur les opérations de la compagnie. Celles-ci ont continué de se développer en 2023 et elles ont intensifié la concurrence avec les compagnies aériennes rivales, assure le PDG.

« Nous avons un plan pour le remboursement du montant impayé, a confirmé Stephen Jones au téléphone. Le bref de saisie et de vente émis par la cour était une mesure de précaution mise en place au cas où nous aurions échoué avec ce plan – ce que nous n’avons pas l’intention de faire ».

Bien que les termes de l’accord soient confidentiels, le PDG a déclaré qu’il impliquait des paiements mensuels, et il a qualifié l’attitude de l’ARC de « compréhensive ».

« En dernier recours, nous pouvons prendre des mesures de recouvrement juridique supplémentaires, comme la saisie de biens ou d’actifs pour protéger les intérêts de la Couronne », a expliqué la porte-parole de l’ARC Kim Thiffault dans un courriel.

L’ordonnance de la cour du 23 novembre, d’abord signalée par The Globe and Mail, permet au « sherif de l’Alberta ou à toute agence d’exécution civile » de saisir et de vendre les biens et actifs de Flair Airlines.

 

De multiples tribulations juridiques

Ceci apparaît comme le dernier chapitre d’une lutte pluriannuelle pour rester solvable et dans les limites réglementaires, alors que la compagnie aérienne a croisé à plusieurs reprises le chemin des tribunaux.

En mars dernier, Flair a ainsi vu quatre de ses avions repris au milieu de la nuit après qu’Airborne Capital, gestionnaire de location d’avions, ait affirmé que la compagnie manquait régulièrement à ses paiements, qui s’élevaient à des millions de dollars au cours des cinq mois précédents.

En réponse, Flair Airlines a intenté une action en justice de 50 millions de dollars contre Airborne et trois autres sociétés de location, arguant que les demandes de paiement permanentes des quatre entreprises étaient « sans fondements ».

Flair a par ailleurs vanté ses réalisations des derniers mois, affirmant avoir eu droit à des gains en nombre de passagers, au taux de réalisation de vols le plus élevé au pays (à 98 %) et à une ponctualité de 69 % — une statistique faible à l’échelle mondiale, mais solide par rapport à ses concurrents canadiens.

 

Concurrence accrue

Flair Airlines est cependant confrontée à une concurrence accrue de la part de WestJet — qui a mis fin aux opérations de sa filiale à bas prix Swoop, en octobre — et de la part de Porter Airlines et d’un autre rival à bas prix, Lynx Air, qui se développent rapidement.

Un accent plus prononcé sur les destinations soleil cet hiver a également mis Flair en concurrence directe avec d’autres compagnies aériennes qui continuent à exploiter ce créneau, notamment Sunwing Airlines, filiale de WestJet, ainsi qu’Air Transat.

« Je pense que Flair est probablement dans la position la plus difficile de tous les acteurs sur le marché canadien en ce moment », estime Duncan Dee, ancien directeur des opérations chez Air Canada. Il en veut pour preuves les dettes et les saisies d’avions de Flair, qui témoignent d’une lutte pour demeurer à flots.

« L’image que dégage Flair est celle d’une entreprise confrontée à des défis beaucoup plus importants que ce qui apparaît en surface », croit Duncan Dee.

 

Des années en dents de scie

Stephen Jones affirme pour sa part que Flair a jusqu’ici fonctionné sans heurts, propulsée par un nombre élevé de passagers pendant une grande partie de l’année 2023, malgré les impairs de croissance d’une entreprise endettée qui s’efforce toujours de stabiliser ses finances et de gagner la confiance des consommateurs.

En 2022, l’Office des transports du Canada avait incité Flair à remanier son conseil d’administration et à révoquer les droits des actionnaires du principal investisseur, 777 Partners, afin de se conformer aux règles sur la propriété nationale.

De plus, Flair doit continuer à effectuer des paiements de plus de 7 millions de dollars américains par mois pour la location de ses quelque 20 avions Boeing 737, en plus de gérer des prêts d’un montant compris entre 200 et 300 millions de dollars américains — ce qui rend les taxes d’importation sur ces mêmes avions encore plus difficiles à payer —, expliquait Stephen Jones à La Presse canadienne, en août dernier.

Pendant ce temps, une page Facebook dédiée aux problèmes des passagers de Flair continue de recenser des problèmes, mais elle présente moins de plaintes qu’au milieu de l’année 2022, lorsque le chaos des voyages aériens s’est abattu sur un secteur mal préparé à la demande croissante de vols postpandémiques.

La Presse canadienne, avec Tara Deschamps, Toronto.