Franck Laboue
L’aventurier épicurien
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Les déserts sont fascinants. Sous toutes leurs formes; qu’ils soient composés de sel, de sable ou encore de glace, ils ne sont en rien monotones et vides. Au contraire.
L’image que nous nous faisons des déserts avec leurs dunes voluptueuses, elle nous vient du Sahara. C’est en Jordanie, petit pays du Moyen-Orient, que se trouve l’un des lieux les plus étranges de la planète. Ici se dessinent des paysages majestueux teintés de rouge. Le Wadi Rum a envouté de nombreux aventuriers et artistes à travers les siècles: c’est un désert qui magnétise. Je n’avais pas un attachement particulier pour les déserts, mais ma visite en Jordanie m’a prouvé que je me trompais. Je n’y ai pas trouvé qu’une simple et vaste étendue de sable dénouée de charme. Serait-ce le plus beau désert de la planète?
LA TERRE DES BÉDOUINS
La découverte du Wadi Rum, je l’ai faite lors de mon deuxième séjour en Jordanie. Un voyage particulier, j’étais cette fois accompagné de mon père, avec l’envie de lui faire vivre quelque chose d’exceptionnel. C’est depuis Israël et la frontière d’Eilat que nous pénétrons en Jordanie. Le passage se fit à pied entre deux rangées de barbelés à l’ombre des miradors. Nous rentrions alors sur la terre des Bédouins, éternels gardiens des sables du Sud jordanien.
Depuis des siècles, cette contrée vit au rythme des caravanes. Terre de passage entre les empires, elle est un véritable carrefour commercial. Arrivés dans la petite ville d’Aqaba, nous sommes alors en quête d’une excursion pour explorer le Wadi Rum. Dans les pays arabes, il faut oublier nos usages occidentaux avant de partir, tout se règlera par téléphone entre chauffeurs.Après de nombreuses palabres et changements de véhicules, nous voilà en route. C’est à l’arrière d’un pick-up que nous embarquons, avides d’aventures. Notre chauffeur est un jeune homme. Muni d’une longue barbe, d’une Djellaba blanche et d’une paire de Ray-Ban, il ressemble presque à un Cheick tout droit sorti d’un album de Tintin.
Nous quittons le bitume pour la piste, afin d’emprunter les chemins que foula Lawrence d’Arabie il y a maintenant un siècle. Le pick-up file tout droit au milieu du désert, nous malmenant à chaque soubresaut. Le soleil est rude et nous rend aveugles, mais il ne nous fera pas perdre notre sourire, celui qui s’accroche à notre visage depuis que nous sommes arrivés dans ce désert. Quelques dromadaires indifférents forment des points au milieu du sable, puis tout à coup, les immenses formations rocheuses du Wadi Rum apparaissent. Comme saupoudrées au cœur du désert, elles forment un paysage lunaire digne de la planète Mars. Ces imposants géants de pierre donnent des teintes ocres-orange au paysage. Sculptés par l’érosion, ils apportent des airs d’Ouest américain au panorama. C’est presque à s’y méprendre.
Le Wadi Rum, ce n’est pas juste du sable, c’est un ensemble de canyons, de hautes falaises, d’arches naturelles nous rappelant l’Utah. Ici, point de vide, rien qu’un paysage invitant à la méditation et la paix de l’âme. Nous faisons plusieurs arrêts pour apprécier les vastes étendues du Wadi Rum, quel spectacle que cette couleur rouge-orange!
Le vent semble s’engouffrer entre les montagnes pour venir caresser le dos des dunes. Le sable y glisse langoureusement. Entre nos doigts, il n’a rien de grossier, il est fin, doux et presque sensuel, une sensation unique que ce sable jordanien. À l’ombre d’un canyon, nous prenons le temps de nous arrêter sous une tente de Bédouin. Celui-ci, avec sa cigarette et sa dague accrochée au ceinturon, est l’image même d’une carte postale. Ces canyons sont aussi aujourd’hui le terrain de jeu des adeptes de l’escalade.
UN DÉSERT HOLLYWOODIEN
Inconsciemment, la terre rouge du Wadi Rum a un air de déjà-vu. Ce paysage prend presque des airs fantastiques, tant il parait venir d’une autre planète. Les producteurs d’Hollywood ne se sont pas trompés, cette région de Jordanie est l’un de leurs terrains de jeu favoris. Outre le grand classique « Lawrence d’Arabie » de 1962, ce sont les grands films de science-fiction qui aujourd’hui utilisent les décors du Wadi Rum, Transformers et « Seul sur mars » font partie des plus récents exemples. Un air extra-terrestre flotte sur ce désert.
Le Wadi Rum c’est aussi un morceau d’histoire gravé dans la roche. Témoignage de près de 120 siècles d’occupation humaine, on y retrouve plus de 25 000 pétroglyphes! Ce sont les hommes du désert qui laissèrent ces traces discrètes au fil des siècles, laissant des indications pour les caravanes. Les symboles sembleraient presque Navajos s’il n’y avait la présence de nombreux dromadaires sur ces inscriptions. Encore aujourd’hui, c’est une terre de nomades, transportant nonchalamment leur marchandise à travers les dunes.
C’est l’heure de reprendre notre pick-up; le soleil chauffe, les paysages d’une beauté sans nom se succèdent et nous offrent un mélange de décors tantôt lunaires et poussiéreux, tantôt rocheux et massifs. Une immensité qui semble épargnée du monde des hommes.
À l’ombre d’un canyon, je contemple le paysage. Quelques petits arbustes chétifs poussent difficilement le long des pierres, pointes végétales dans un monde de roches. Les falaises abruptes autour de nous semblent nous écraser. Au cœur de ces masses orange, l’érosion a fait son œuvre: la roche prend alors des formes étranges, tantôt rondes, tantôt quasi organiques. Avec les arches au cœur du désert, le Wadi Rum semble être un lointain cousin oriental de l’Arizona.
L’ICÔNE : LAWRENCE D’ARABIE
Pour notre dernier arrêt, nous nous dirigeons vers la source de Lawrence. Le Wadi Rum est comme hanté par l’héritage de Thomas Edward Lawrence: Lawrence d’Arabie. La source est en fait un de ses anciens campements, cachés des regards et du vent au cœur d’un canyon. Les traits de Lawrence y sont même gravés dans la roche.
Personnage clé de la Première Guerre mondiale, Lawrence d’Arabie parcourut le désert jordanien entre 1916 et 1918 pour soulever une révolte des Arabes contre l’Empire ottoman. Affublé du costume traditionnel arabe, montant à chameau, il adoptera les coutumes des hommes du désert. Lawrence nous laisse un ouvrage, hommage à ses années passées dans le désert : « Les sept piliers de la sagesse ». Le titre fait référence à une imposante formation monolithique de près de 2000 mètres de hauteur dominant le désert. Au pied du canyon, il ne reste que quelques pierres de ce qui fut la maison de Lawrence, juste de quoi fantasmer sur le destin de cet homme controversé et peu ordinaire au milieu des bédouins il y a de cela un siècle.
Le soleil commence à descendre tout doucement, les teintes orange du Wadi Rum se transforment et virent au rouge. L’horizon semble alors s’enflammer. Nous quittons cette étendue fantastique pour nous diriger vers un autre endroit qui fait chavirer les têtes: la cité mythique de Petra. Mais ce sera une autre histoire.
VERDICT DU CHRONIQUEUR
La Jordanie est une terre magique, elle représente tous nos fantasmes d’Orient. Elle se donne des airs de légendes arabes toutes droits tirées des « Contes des mille et une nuits ». Aujourd’hui l’un des rares pays moyen-orientaux stable et facile à visiter, la Jordanie est facilement accessible depuis la frontière d’Israël ou en atterrissant à Amman, sa capitale.
Le désert jordanien est l’un des paysages les plus fantastiques qu’il m’ait été donné d’apprécier, un site naturel majestueux où la culture bédouine s’est acclimatée au gré des siècles. Terre des caravanes marchandes, des Bédouins et des rêves d’Orient, le Wadi Rum est un rêve éveillé pour le voyageur en quête d’évasion. Magie du désert.
À VOIR À LIRE
Lawrence d’Arabie (David Lean – 1962) – Film culte avec au casting les immenses Peter O’Toole, Alec Guinness et Omar Sharif, Lawrence d’Arabie remporta la statuette du meilleur film en 1962. Adaptation hollywoodienne du destin de Lawrence d’Arabie. Seul sur Mars (Ridley Scott – 2015) – Suivez les péripéties de Matt Damon coincé sur Mars et obligé de rivaliser d’ingéniosité pour survivre jusqu’à l’arrivée des secours. Les décors martiens furent tournés au Wadi Rum. Les sept piliers de la sagesse (T.E. Lawrence – 1922) – Récit autobiographique de Lawrence d’Arabie sur ses années auprès des forces Arabes, alors qu’il était officier de liaison britannique. Rachid Taha – Cet artiste algérien n’a rien de Jordanien, mais sa musique traditionnelle nord-africaine teintée d’instruments rock sonnait étrangement bien à mes oreilles en Jordanie. La fameuse ” Barra Barra ” est l’une de ses plus réussies. |