Authentique, inaltérée et métissée, la Guyane est l’une des régions françaises les plus surprenantes, comme a pu le constater Profession Voyages, le mois dernier. Premier compte-rendu d’une série de trois.
C’est sans doute le coin de pays le moins notoire de France, celui que plusieurs Français eux-mêmes ne connaissent pas, ou dont ils ont vaguement entendu parler, sans plus. Destination discrète, la Guyane commence cependant à sortir de l’ombre.
Seul département français d’Amérique du Sud, la Guyane s’étend entre le Suriname (ex-Guyane hollandaise), le Brésil et l’océan Atlantique, et elle demeure encore bien énigmatique – ce qui ajoute à son charme et à l’intérêt qu’on lui porte, en cette époque ou trop de destinations sont surfréquentées.

Cayenne :: Crédit: Gary Lawrence
Peuplée d’à peine 300 000 habitants, la Guyane ne reçoit que 130 000 visiteurs par année (dont 77 000 étrangers, majoritairement originaires de la France continentale), ce qui en dit long sur le degré modeste du développement de son industrie touristique.
C’est bien tant mieux pour quiconque cherche une destination où on ne se marche pas sur les pieds, où la culture locale est intacte, où la population est toujours accueillante, et où on ne trouve pas d’affiches criardes en bord de route, de restos clinquants sur les plages ou de mégacomplexes touristiques de béton en bord de mer.

Marais de Kaw-Roura :: Crédit: Gary Lawrence
Il faut dire que développer le tourisme n’a jamais été une priorité absolue, en Guyane, même si les choses sont en train de changer. Heureusement, on y va à pas posés et mesurés, en suivant trois axes principaux, à savoir la science, la nature et la culture.
De l’espace sur Terre
Tandis que progressent le tourisme spatial et les voyages suborbitaux dans le monde, la Guyane est déjà fort courue pour son Centre spatial guyanais (CSG), d’où partent les fusées Ariane et Vega, pour des vols non habités mais qui suscitent la curiosité.

Le CSG :: Crédit: Gary Lawrence
La visite de cet immense site, sorte de petit Kennedy Space Center français, permet d’en apprendre tout un rayon sur le Programme spatial européen. La visite en autocar, d’une durée de deux heures, est commentée par des guides hypercalés et permet de s’approcher des sites de lancement, d’admirer les impressionnants hangars où sont assemblées ou préparées les fusées, ou de reluquer la salle d’où sont gérés les activités. Ne reste plus qu’à faire coïncider ses dates de séjour avec le lancement d’une fusée – ce qui se produit en moyenne une fois par mois.
Du reste, le territoire du CSG couvre une superficie d’environ 660 km2 et forme une réserve naturelle où évoluent toutes sortes de bêtes – dont 28 jaguars(!). Rien là de bien étonnant, quand on connaît l’ampleur du couvert végétal guyanais.
Pleine nature
Enveloppée à 95 % par l’inextricable forêt amazonienne, la Guyane peine à se départir de sa réputation « d’enfer vert », qui lui vient de l’époque où elle servait de bagne d’où il était impossible de s’échapper.

L’ex-hôpital du bagne de l’île Saint-Joseph :: Crédit: Gary Lawrence
Aujourd’hui, les bagnes sont devenus de fascinants (et bouleversants) lieux de mémoire, et la forêt amazonienne est désormais vue comme un immense terrain de jeu à découvrir par un nombre croissant d’amateurs de plein air et d’écotourisme.
Car la Guyane jouit d’une incroyable biodiversité et d’infinies possibilités d’explorations en nature, notamment en randonnée pédestre et en pirogue, avec un vaste réseau de fleuves et de rivières qui sillonne ses forêts.

Crédit: Gary Lawrence
Que ce soit dans la périphérie immédiate des zones habitées (qui ne sont jamais très grandes ni éloignées de la nature), comme sur le fleuve Maroni ou dans les marais de Kaw-Roura, ou encore au plus profond de la forêt amazonienne, comme à Saül, il y a de quoi assouvir les instincts profonds de bien des explorateurs en herbe (ou pas).
Vamos a la playa
Destination tempérée à l’année, la Guyane baigne dans une température moyenne annuelle qui oscille autour de 26 degrés, et elle se visite en tout temps – mais un peu moins en avril et en novembre, durant la saison des pluies. En revanche, on ne s’y rend pas en premier lieu pour ses plages, dont les eaux sont brouillées une partie de l’année par les sédiments provenant de l’Amazone et ses affluents – surtout pendant et après la saison des pluies.

La plage de Remire-Montjoly :: Crédit: Gary Lawrence
Même les plages de Kourou, de Sinnamary et surtout de Remire-Montjoly, laquelle s’étire sur plusieurs kilomètres sur la bien nommée Route des plages, n’y échappent pas. Mais ça n’empêche personne, Guyanais comme touristes, d’y faire trempette ou d’assister au défilé des énormes tortues pondeuses, d’avril à juillet, par endroits.
Cela dit, il est possible de s’offrir de chouettes expériences balnéaires dans des cadres édéniques et dans des eaux limpides, en Guyane. Comme sur les îles du Salut, par exemple.
Salut à toi le vacancier
Pendant une centaine d’années, de 1852 à 1953, la Guyane a servi de lieu de réclusion pour plus de 70 000 indésirables, avec plusieurs bagnes où les forçats étaient contraints de travailler chaque jour. Le plus connu d’entre eux demeure celui des îles du Salut, rendu célèbre par les récits d’Henri Charrière, alias Papillon, notamment portés à l’écran dans les années 70 (et aussi il y a quelques années).
De nos jours, certains bâtiments de ces lieux de détention tantôt sinistres, tantôt fort jolis du fait de leur belle architecture coloniale, servent à héberger les Guyanais qui viennent y passer le week-end, à l’auberge ou dans d’anciennes cellules où ils accrochent leur hamac.

L’une des plages de l’île Royale, dans les îles du Salut :: Crédit: Gary Lawrence
Car si ces îles étaient infernales du temps du bagne, elles sont désormais paradoxalement édéniques, bordées qu’elles sont de plusieurs jolies plages et baignées d’eaux turquoise où il fait bon se prélasser, piquer une tête ou, tout simplement, décrocher, à une heure de bateau de la ville de Kourou.
Culture et architecture
La Guyane présente aussi de superbes villes coloniales à l’unité architecturale et aux exemples particulièrement éloquents et bien préservés – même si certains bâtiments sont délabrés.

Saint-Laurent-du-Maroni :: Crédit: Gary Lawrence
Les belles façades pullulent particulièrement à Saint-Laurent-du-Maroni, qui regorge de bâtiments administratifs coloniaux, ce qui est aussi le cas à Cayenne, la mignonne capitale où se succèdent également nombre de maisons créoles aux balcons en dentelles de fer et aux grandes vérandas.
Du reste, le marché de cette ville, particulièrement vivant et coloré, permet aussi de faire aisément connaissance avec le peuple guyanais, fort affable et facile d’approche.

Marché de Cayenne :: Crédit: Gary Lawrence
Rencontres et bonne chère
Contrairement à bien des destinations de la zone caraïbe voisine, le peuple guyanais est demeuré accueillant, épargné qu’il fut par le tourisme de masse – pour ne pas dire le tourisme tout court. « Je suis arrivé ici un peu à reculons, et finalement j’ai eu envie de rester, pour beaucoup à cause des gens », est d’ailleurs un commentaire qu’on entend régulièrement chez les expats, souvent établis ici depuis des années.

Restaurant La Goélette, Saint-Laurent-du-Maroni :: Crédit: Gary Lawrence
Fruit de siècles de métissage, la Guyane jouit par ailleurs d’une très bonne gastronomie – voire excellente par endroits –, vu la fraîcheur des produits (à commencer par ceux qui proviennent de la mer) mais aussi compte tenu du brassage des cultures dans la marmite sud-américaine, le tout additionné d’une touche française.
À Cayenne en particulier, les occasions de se délecter sont nombreuses, que ce soit au marché – où on peut engloutir une soupe Pho concoctée par les Hmongs, une minorité originaire du Laos –, ou dans un resto pour déguster un acoupa ou un jamais-goûté (poissons locaux) au fruit de la passion, ou encore croquer une chocolatine ou une baguette aussi fraîches et goûteuses qu’en métropole.

Popotes roulantes à Cayenne :: Crédit: Gary Lawrence
Nuitées modestes mais honnêtes
Peu développée touristiquement, la Guyane ne l’est pas beaucoup plus côté hébergement. On trouve cependant un peu de tout (ou presque) même si l’essentiel de l’offre dépasse rarement les trois étoiles, alors que les quatre étoiles ne sont pas légion et que les 5 étoiles sont carrément absents du décor – le tourisme de luxe n’est donc pas une niche exploitée en cette région.

Hôtel des Roches :: Crédit: Gary Lawrence
En outre, la classification est parfois inégale, et deux établissements qui arborent 4 étoiles peuvent présenter des différences de niveau : témoins en sont l’hôtel des Roches, historique et fort bien situé mais un peu défraîchi, et le Mercure Ariatel, flambant neuf.
Cela dit, on trouve beaucoup d’hébergements très corrects, propres et accueillants, avec lits confortables, bonnes douches chaudes et de l’espace à profusion. En outre, plusieurs établissements sont présentement en construction, ce qui augmentera sous peu l’inventaire guyanais, qui compte présentement 6000 lits répartis sur 170 hébergements un peu partout au pays, mais essentiellement le long de la côte.

Hôtel Ker Alberte, Cayenne :: Crédit: Gary Lawrence
Des liaisons laborieuses
Pour l’heure, l’accès à la Guyane depuis le Canada n’est pas des plus fluides. Le plus simple consiste à passer par la Martinique ou la Guadeloupe, sans correspondance efficace dans l’une ou l’autre direction, le tout à coût élevé.
Entre Cayenne et les Antilles, seule Air France exploite ainsi des vols. De la Guadeloupe, ceux-ci font escale en Martinique, dans des appareils souvent bondés qu’il vaut mieux réserver à l’avance. Du Québec, il est rare qu’on puisse payer moins de 1800 $ pour un vol aller/retour sur la Guyane – comme en octobre/novembre, l’une des périodes les moins coûteuses.

Au large de Kourou :: Crédit: Gary Lawrence
Vu son éloignement, son appartenance à la France et le nombre élevé de denrées qu’elle doit importer, la Guyane n’est d’ailleurs pas spécialement abordable. On estime qu’il en coûte en moyenne de 30 à 40 % plus cher qu’en France métropolitaine pour la plupart des biens et services, y compris en ce qui a trait aux prestations touristiques.
Complémentarité ou solution de remplacement?
Épargnée par les ouragans (et les séismes), la Guyane se visite fort bien l’automne, qui est aussi l’une des meilleures périodes de l’année pour la clémence du climat.
Cela en fait une excellente solution de remplacement automnale pour la zone caraïbe, pour quiconque voudrait s’évader dans le sud mais rechigne à l’idée de se rendre aux États-Unis.

En bateau vers les îles du Salut :: Crédit: Gary Lawrence
Par ailleurs, et puisqu’il faut transiter par la Martinique ou la Guadeloupe et y passer au moins une nuit entre deux vols, autant verser dans la complémentarité et séjourner plus longtemps dans les Antilles françaises. Tant qu’à souffrir de mauvaises correspondances et payer le gros prix pour ses billets, on peut en profiter pour demeurer une semaine en Guadeloupe ou en Martinique et une autre (ou deux) en Guyane.
Ces trois destinations se complètent d’autant plus qu’elles font toutes partie de la France d’outre-mer : on demeure dans une parenté territoriale et culturelle, on partage certains codes coutumiers et une même monnaie, et on se croit toujours un peu en France – mais pas tant que ça, et c’est bien là le but d’un voyage en Guyane : se sentir fichtrement dépaysé.
Info : guyane-amazonie.fr