Les agents de bord d’Air Canada ont braqué les projecteurs sur des problèmes latents lorsque près de 10 000 d’entre eux ont déclenché une grève.
À la fin de ses voyages de travail, Nathan Miller rentre dans une chambre improvisée chez ses parents, en Virginie. Cet agent de bord de 29 ans fait partie d’un équipage de PSA Airlines basé à Philadelphie, mais il ne peut pas se permettre d’y vivre.
Nathan Miller affirme qu’il gagne environ 24 000 $ par an en assurant plusieurs vols par jour comme agent de bord à temps plein pour cette filiale d’American Airlines. Pour se rendre au travail, il fait la navette en avion entre Virginia Beach et l’aéroport international de Philadelphie, une distance d’environ 345 km.
« J’ai envisagé de trouver un tout autre emploi, dit-il. Ce n’est pas ce que je veux faire », explique Miller, entré chez PSA il y a deux ans. « Mais ce n’est pas viable. »
Un cas parmi tant d’autres
Sa situation n’est pas unique. Depuis des années, les frustrations s’accumulent chez les agents de bord des compagnies régionales comme des grandes compagnies, face à des salaires qui, selon beaucoup, ne reflètent pas les exigences de leur métier. À cela s’ajoute une pratique ancienne des compagnies aériennes : ne pas rémunérer les agents pour leur travail au sol, comme l’embarquement et le débarquement des passagers.
Les agents de bord d’Air Canada ont attiré l’attention du public sur ces problèmes latents lorsque près de 10 000 d’entre eux ont déclenché une grève, forçant la compagnie à annuler plus de 3 100 vols. La grève a pris fin mardi dernier avec une entente de principe incluant des hausses salariales et, pour la première fois, une rémunération pour l’embarquement des passagers.
Dur dur de faire la grève
Aux États-Unis cependant, la Railway Labor Act, adoptée il y a près d’un siècle, rend les grèves beaucoup plus difficiles pour les agents de bord syndiqués comme Nathan Miller, membre de l’Association of Flight Attendants, que pour la plupart des autres travailleurs états-unien. Contrairement aux ouvriers de Boeing ou aux scénaristes et acteurs hollywoodiens qui ont cessé collectivement le travail ces dernières années, les travailleurs du transport aérien ne peuvent faire grève que si les médiateurs fédéraux déclarent une impasse — et même là, le président ou le Congrès peuvent intervenir.
Pour cette raison, les grèves dans l’aviation sont extrêmement rares aux États-Unis. La dernière grève majeure remonte ainsi à plus de dix ans, menée par les pilotes de Spirit Airlines, et la plupart des tentatives ont échoué depuis. Les agents de bord d’American Airlines ont essayé en 2023, mais ils en ont été empêchés par les médiateurs.
Un droit de grève amoindri
Faute de ce levier ultime, les syndicats du secteur aérien voient leur pouvoir s’éroder dans des négociations contractuelles qui s’étirent bien au-delà des délais habituels, selon Sara Nelson, présidente internationale de l’AFA. Des négociations qui prenaient autrefois entre un an et 18 mois s’éternisent désormais sur trois ans, parfois davantage.
« Le droit de grève est fondamental dans la négociation collective, mais il a été grignoté », dit Sara Nelson. Son syndicat représente 50 000 agents de bord, dont ceux de United Airlines, Alaska Airlines et PSA Airlines.
Lundi, elle a rejoint les agents de PSA qui manifestaient devant l’aéroport Ronald Reagan de Washington, près du lieu où un avion de la compagnie s’était écrasé dans le fleuve Potomac en janvier dernier, après une collision avec un hélicoptère de l’armée. Les 67 personnes à bord des deux appareils avaient péri, dont le pilote, le copilote et deux agents de bord.
Les agents de PSA ont aussi manifesté devant les aéroports de Philadelphie, Dallas, Charlotte et Dayton (Ohio). Dans un communiqué, la compagnie a qualifié ces manifestations de « l’un des moyens importants par lesquels les agents expriment leur volonté de conclure un accord — et nous partageons le même objectif ».
Des tâches plus exigeantes
Les agents affirment que leur travail est devenu plus exigeant ces dernières années. Les avions sont plus remplis et les délais de rotation entre les vols, plus serrés. Pour les passagers, ils apparaissent comme des employés en uniforme qui servent nourriture et boissons, mais en réalité, ils doivent aussi gérer des urgences en vol, désamorcer des conflits et faire face à des passagers indisciplinés.
« Nous devons savoir éteindre un feu causé par une batterie au lithium à 9 000 mètres d’altitude, ou pratiquer un massage cardiaque à un passager victime d’un infarctus, dit Becky Black, agente de bord de PSA à Dayton et membre de l’équipe de négociation syndicale. Nous sommes formés pour évacuer un avion en 90 secondes, et nous sommes toujours les derniers à en sortir. » Pourtant, ajoute-t-elle, la rémunération n’a pas suivi.
De longues négos
Les agents de PSA négocient depuis plus de deux ans pour obtenir de meilleurs salaires et une rémunération à l’embarquement. Ceux d’Alaska Airlines ont dû attendre aussi longtemps avant de conclure un accord en février. Chez American, les négociations pour un nouveau contrat ont débuté en 2020 mais n’ont abouti qu’en 2024.
Les agents de Southwest Airlines ont dû patienter encore plus longtemps — plus de cinq ans — avant de décrocher un nouvel accord l’an dernier, qui a accordé une hausse salariale immédiate de 22 % et des augmentations annuelles de 3 % jusqu’en 2027.
« Ce fut un grand soulagement », confie Alison Head, agente de bord de longue date basée à Atlanta. « Après la COVID, avec la hausse des prix et les difficultés des gens, cela comptait vraiment. »
Ce contrat n’incluait pas la rémunération à l’embarquement, mais il a instauré le premier congé de maternité et parental payé de l’industrie, une victoire historique pour cette main-d’œuvre majoritairement féminine. Mère de deux enfants, Alison Head raconte avoir dû reprendre le travail « assez rapidement » après son premier accouchement, faute de pouvoir se permettre de rester à la maison.
« Aujourd’hui, les nouveaux parents n’ont plus à faire ce choix difficile », dit-elle. Beaucoup de ses collègues d’autres compagnies attendent encore leur nouveau contrat.
Chez United, les agents ont rejeté une entente de principe le mois dernier, avec 71 % de votes contre. Le syndicat sonde maintenant ses membres pour comprendre pourquoi et prévoit de retourner à la table des négociations en décembre.
Autre pays, mêmes problèmes
Un point d’achoppement majeur demeure : la rémunération à l’embarquement. Delta est devenue la première compagnie américaine à l’offrir en 2022 — suivie par American et Alaska — mais beaucoup d’agents ne sont toujours pas payés pour ce qu’ils considèrent comme la partie la plus chargée de leur quart de travail.
De retour à Virginia Beach, Nathan Miller essaie toujours de s’en sortir. Pour être à l’heure à l’aéroport de Philadelphie, il se lève vers 4 h du matin. Une fois son vol de correspondance atterri, il peut s’écouler encore des heures avant qu’il ne soit officiellement en service et rémunéré. Sa journée de travail se termine parfois à 2 h du matin le lendemain.
Selon l’heure à laquelle il revient à Philadelphie, il passe parfois la nuit dans ce qu’on appelle un « crash pad », un logement partagé par des équipages qui font la navette vers leur base. L’agent de bord explique que le sien est un appartement de deux chambres avec 10 lits.
Lors des voyages familiaux de son enfance, Nathan Miller était fasciné par les agents de bord et leur capacité à mettre les passagers à l’aise et en sécurité. Aujourd’hui, il a réalisé son rêve, mais il n’est pas sûr de pouvoir se permettre de continuer.