Les frais accessoires des transporteurs sont-ils abusifs?

Dans son dernier budget, le gouvernement fédéral s’est engagé à « sévir contre les frais abusifs » des transporteurs. Mais jusqu’à quel point les frais accessoires peuvent-ils l’être?


Jay Sorensen voyage à la fois en classe affaires et en classe économique.

Bien que les différences entre les deux classes aient toujours été bien définies, le fossé semble s’être récemment élargi, dit le président de la firme de consultation américaine IdeaWorksCompany.

Les voyages en classe économique se caractérisent par de l’espace aux jambes de plus en plus réduit, des sièges plus étroits, moins de récompenses pour les voyageurs assidus et, désormais, par une multitude de frais qui peuvent s’accumuler alors que les transporteurs offrent de plus en plus d’options supplémentaires sur leurs billets.

« Les compagnies aériennes traditionnelles semblent vouloir punir les passagers qui achètent un billet à des tarifs abordables », poursuit Jay Sorensen.

 

Une part croissante des revenus des transporteurs

Les frais supplémentaires que les passagers paient pour les bagages enregistrés, les sièges présélectionnés et les collations à bord représentent une part croissante des revenus des compagnies aériennes, même si un débat fait rage pour savoir si ces frais constituent des « frais abusifs » ou si le prix de base inférieur offre un plus grand choix aux voyageurs.

En 2022, Air Canada a généré près de 2 milliards $US de revenus accessoires, en hausse de près de 50 % par rapport à cinq ans plus tôt, selon IdeaWorksCompany. La part de cette catégorie de revenus dans le total des recettes du transporteur est ainsi passée à plus de 15 % contre moins de 11 % sur la même période.

De son côté, WestJet vient de lancer un nouveau niveau de service, « Extended Comfort », où les passagers en classe économique peuvent payer pour plus d’espace aux jambes, un accès anticipé aux compartiments à bagages en hauteur – très convoités en raison des coûts des bagages enregistrés – et une boisson alcoolisée incluse.

 

Diversification des revenus et protection contre les aléas

Popularisés par les transporteurs à bas prix il y a plus de 15 ans et adoptés depuis par les grandes compagnies aériennes, les revenus accessoires jouent un rôle de plus en plus critique dans l’industrie, en aidant à diversifier les revenus et à protéger les entreprises contre les fluctuations des prix des billets, des coûts du carburant et de la concurrence.

« Ces revenus accessoires sont plus stables que les revenus passagers, qui peuvent être soumis à des modifications de tarifs liées aux tarifs concurrentiels sur la même route », explique l’analyste de TD Cowen, Helane Becker, en ajoutant que les compagnies aériennes cherchent à “créer des fossés autour de leur activité”. »

 

De mauvais plis attrapés durant la COVID

La COVID a également engendré des habitudes difficiles à abandonner pour certains voyageurs, notamment la sélection anticipée des sièges.

« L’endroit où vous vous asseyez est devenu important pour de nombreux clients, car si votre siège est situé à l’avant de l’avion, vous descendrez le premier; les passagers ont donc commencé à payer un supplément pour avoir droit à ce privilège pendant la pandémie, et ce comportement est resté », croit Jay Sorensen.

 

Trois sources de revenus accessoires

Les revenus accessoires proviennent principalement de trois sources : les services à la carte tels que les repas, le WiFi à bord et les bagages supplémentaires – ou tout type de bagage; les programmes de fidélisation; et les offres basées sur des commissions telles que les réservations d’hôtels, les locations de voitures et les assurances voyage.

À l’échelle mondiale, les revenus accessoires devraient atteindre un nouveau record de 117,9 milliards $US en 2023, contre le précédent record de 109 milliards $US en 2019, selon un rapport d’octobre de la plateforme technologique de voyage CarTrawler.

 

Du danger de s’aliéner les passagers

Selon John Gradek, qui enseigne au programme de gestion de l’aviation de l’Université McGill, les incessantes surfacturations risquent d’aliéner les passagers, qui se plaignent en ligne d’une multitude déroutante de frais supplémentaires et de niveaux de service.

Sur les réseaux sociaux, le nouveau service Extended Comfort de WestJet a aussi suscité son lot de réactions, allant de la confusion – « allons-nous recevoir une facture supplémentaire ? » – à l’irritation – « ça ne fait qu’ajouter plus de coûts à des frais de voyage déjà en hausse. »

« Ils adorent ça, dit John Gradek à propos des cadres des compagnies aériennes. Les revenus sont très importants, et dans certains cas, ils sont vitaux pour la survie des transporteurs à ultra bas tarifs. »

 

Des frais essentiels aux yeux des transporteurs

En effet, ces frais représentent environ 40 % du chiffre d’affaires de Flair Airlines – l’objectif est de 50 % – selon sa vice-présidente des revenus accessoires et de l’expérience numérique, Juliana Ramirez.

« Tout le monde veut une part plus importante du portefeuille des voyageurs, dit-elle. Une partie de la stratégie consiste à attirer les consommateurs sur le site web avec des tarifs très bas, puis à proposer de nombreux ajouts. »

Un tarif de 67 $ pour un vol aller simple Toronto-Vancouver le mois prochain passe ainsi rapidement à 323 $ après avoir sélectionné le « Grand Forfait » de 90 $ – un bagage à main, un gros bagage enregistré, un embarquement prioritaire, une modification du voyage – ainsi qu’un siège en première rangée, un ensemble d’assurances voyage, un enregistrement en ligne à 15 $ (25 $ si vous attendez jusqu’à l’aéroport), ainsi que les taxes et frais de tiers.

Juliana Ramirez comprend les frustrations de payer plus du double du prix d’un billet simplement pour sécuriser ce qui aurait été des éléments standards du vol il y a quelques décennies. « Personne n’aime payer pour un bagage », avoue-t-elle.

 

Quand le gouvernement s’attaque aux frais abusifs

Dans son budget dévolié la semaine dernière, le gouvernement fédéral s’est engagé à « s’attaquer aux frais abusifs » facturés par les transporteurs. Cela a poussé le Conseil national des lignes aériennes du Canada à demander plus de clarté à Ottawa, arguant que les frais offrent aux clients une plus grande flexibilité.

Pour Air Canada, segmenter les options de services permet aux passagers de savoir précisément ce pour quoi ils paient. « C’est très transparent », assure Peter Fitzpatrick, porte-parole du tranposteur, en soulignant de l’avant les différents niveaux de service.

« Nos tarifs différenciés font partie de notre stratégie accessoire, car chaque tarif différencié est une combinaison d’accessoires (comme le bagage, le choix du siège et la flexibilité) vendus comme un ensemble, dit-il. Notre expérience montre que les clients apprécient d’avoir la possibilité d’adapter leurs voyages à leurs besoins, y compris ne pas payer pour des services qu’ils ne souhaitent pas avoir. »

(Du même souffle, le porte-parole a également déclaré que les revenus provenant d’autres sources que les tarifs et le fret représentent bien moins de 10 % du total des revenus, soit moins que l’estimation du rapport de consultation.)

 

Payer uniquement pour ce que l’on veut

Chez WestJet, Madison Kruger avance une explication similaire : « En offrant à nos clients des offres de produits non regroupés, cela garantit qu’ils ne sélectionnent que les options de voyage qui leur importent le plus. »

Selon Ricky Zhang, fondateur du site Web de récompenses de voyage Prince of Travel, les grandes compagnies aériennes estiment n’avoir d’autre choix que de segmenter leurs options d’achat en niveaux de services de plus en plus minces pour contrer la menace des transporteurs à bas tarifs.

« La plupart des voyageurs de loisirs choisissent en fonction du prix, dit-il. Air Canada et WestJet ont donc dû baisser leurs tarifs de base… et cela se traduit par la segmentation de l’expérience de vol en plusieurs services », estime l’expert.

Quant à savoir si ces frais affectent l’envie de voyager des Canadiens, c’est une autre histoire. « Si vous vous positionnez comme une compagnie aérienne offrant un meilleur service que les transporteurs à très bas coûts, cette affirmation de marque entre en rupture avec votre comportement envers les passagers en classe économique », dit Jay Sorensen, à propos des transporteurs offrant des services spartiates aux clients des classes inférieure. « Dès lors, poursuit-il, pourquoi me traiter de manière radicalement différente lorsque je voyage en mode “à rabais”? »