L’intelligence artificielle générative est en train de modifier le processus décisionnel du voyageur, et le Réseau de veille en tourisme s’est penché sur le sujet. Compte-rendu.
Si elle suscite bien des craintes, l’Intelligence Artificielle (IA) facilite bel et bien la vie des voyageurs (et des conseillers) à plusieurs égards, comme dans la planification d’un itinéraire de voyage.
Selon une étude dévoilée en 2023 par la firme Oliver Wyman, le tiers des voyageurs d’agrément canadiens et états-uniens sondés disent avoir déjà eu recours à un outil d’intelligence artificielle pour s’inspirer, planifier ou réserver les composantes d’un séjour *.
Près de la moitié d’entre eux affirment avoir réservé l’entièreté ou la plupart des produits que l’IA leur a suggérés, et la majorité (84 %) se disent satisfaits des recommandations reçues.
Par ailleurs, plus de la moitié des voyageurs interrogés (55 %) précisent qu’ils sont plus enclins à opter pour un canal de réservation proposant un assistant qui utilise l’IA. Cet engouement se révèle particulièrement marqué auprès des membres de programmes de fidélité des compagnies aériennes, hôtelières ou de croisières.
Faciliter la prise de décision du voyageur, mais à quel prix ?
Un étudiant à la maîtrise en sciences de la gestion de l’ESG-UQAM, Hamza Sajid, s’est intéressé aux conséquences de l’adoption croissante de l’intelligence artificielle générative dans la sélection d’un produit ou d’un service touristique, dans le cadre de son mémoire. Ses conclusions identifient différents biais cognitifs attribuables à l’utilisation de cette technologie.
Un biais cognitif correspond à une source d’erreurs systématiques dans le jugement du consommateur qui découlent de règles de décision simplifiée et de raccourcis mentaux.
Les biais interviennent à chaque étape du processus décisionnel du voyageur, de la recherche d’informations au séjour lui-même. Voici comment ils se définissent et de quelle façon ils peuvent se manifester dans le contexte de l’utilisation de l’IA.
Étape 1 : La recherche d’informations
- Le biais de disponibilité : Le consommateur surévalue les informations facilement accessibles. Il base sa prise de décision sur les premières suggestions générées par l’IA.
- Le biais d’ancrage : Le consommateur a tendance à accorder une plus grande importance à la première information reçue. Ainsi, le premier prix d’un vol affiché par l’IA influencera sa perception des suivants.
Étape 2 : L’évaluation des options
- Le biais de confirmation : Le voyageur a un penchant pour les informations qui confirment ses croyances. Par conséquent, il considérera davantage les destinations pour lesquelles la description générée par l’IA correspond directement à ses préférences passées.
- Le biais de familiarité : Le voyageur accorde une plus grande confiance aux destinations déjà visitées et qui lui sont familières parmi l’ensemble des recommandations générées.
Étape 3 : Le choix
- Le biais de clôture cognitive : Le consommateur adopte rapidement l’une des suggestions de l’IA sans analyser de façon approfondie l’ensemble des alternatives.
- Le biais de sur-confiance : Les individus ont tendance à surestimer leurs propres connaissances et compétences sur un sujet. À l’inverse, ils sous-estimeront celles des autres. Par conséquent, ils pourraient inclure des activités physiques exigeantes à leur séjour en sous-estimant les habiletés requises ou la préparation nécessaire si l’information prodiguée par l’IA est insuffisante. Les risques de blessure et d’expérience décevante s’en trouvent donc accrus.
- Le biais d’automatisation : Les visiteurs suivent les recommandations de l’IA sans nécessairement valider l’information auprès d’une autre source officielle. En effet, ceux-ci peuvent percevoir les systèmes automatisés comme plus fiables que les décisions humaines et se fieront entièrement au contenu généré par l’IA.
Ce biais augmente la probabilité de déception une fois sur place. L’étude de la firme Oliver Wyman montre d’ailleurs que quelque 44 % des voyageurs sondés font confiance à l’IA pour les accompagner dans la planification et la réservation d’un séjour.
Étape 4 : La consommation du produit, du service ou de l’expérience touristique
- L’effet de contrôle illusoire : Le consommateur surestime sa capacité de contrôle lors de la planification de son voyage à l’aide de l’IA, malgré les influences externes.
- Le biais de planification : Le consommateur sous-estime les obstacles qui peuvent survenir en cours de voyage, tel que les coûts supplémentaires ou le temps nécessaire pour suivre l’itinéraire suggéré par l’IA.
Quels défis pour l’industrie touristique ?
Surmonter les biais cognitifs des consommateurs représente un défi, particulièrement pour les destinations méconnues et les organisations touristiques de petite taille.
Celles-ci disposent souvent d’un budget marketing plus restreint et ont moins de visibilité sur les médias sociaux. Elles se révèlent donc moins susceptibles d’être repérées par les algorithmes de l’IA et de faire partie de ses recommandations. En effet, l’intelligence artificielle a tendance à mettre de l’avant les destinations et les entreprises les plus fréquemment évaluées et dont on discute le plus en ligne.
Les entrepreneurs et les gestionnaires ont donc tout avantage à analyser leur présence numérique, de même que l’efficacité de leur stratégie de référencement pour se démarquer auprès des visiteurs potentiels.
Il est donc fortement recommandé de s’assurer de l’exactitude des informations disponibles en ligne et de les présenter de manière à capter l’attention des consommateurs.
Les destinations et les agences de voyages en ligne (OTA) peuvent, quant à elles, développer leurs propres canaux de planification d’itinéraire afin de proposer des alternatives qui vont au-delà des suggestions habituelles de l’IA en fonction du profil du visiteur. Des organisations de gestion de la destination (OGD) ont d’ailleurs déjà saisi la balle au bond.
Les entrepreneurs et les gestionnaires ont tout avantage à analyser leur présence numérique, de même que l’efficacité de leur stratégie de référencement pour se démarquer auprès des visiteurs potentiels.
Alma : la planificatrice d’itinéraire 100 % virtuelle
L’Office de tourisme national de Slovénie a créé Alma, une assistante de voyage virtuelle qui exploite la technologie d’IA générative de ChatGPT. Le voyageur peut y accéder depuis la page d’accueil du site Internet officiel de la destination.
Une mise en garde s’affiche au moment de se connecter à la plateforme, avisant l’utilisateur qu’Alma sert uniquement à des fins informatives et pourrait contenir des erreurs. L’OGD atténue ainsi l’effet du biais d’automatisation. Sa particularité : Alma puise son information directement du site Internet officiel de la destination, de ses articles de blogue et de ses rubriques d’inspiration.
Le consommateur s’adresse à elle comme s’il s’agissait d’une véritable conseillère. Il lui précise le moment du voyage prévu, les régions qui l’intéressent et le type d’activités ou d’expériences recherchées. En retour, Alma lui suggère des itinéraires personnalisés à ses préférences, accompagnés des liens officiels pour obtenir plus de détails et réserver.
Voilà un exemple inspirant sur la façon dont les destinations peuvent profiter de la popularité de l’IA auprès des voyageurs. Elles s’assurent, par le fait même, d’une meilleure exactitude des informations véhiculées et influencent l’algorithme de l’IA pour des suggestions d’itinéraires plus diversifiées.
Cette analyse s’inspire de l’essai de maîtrise en sciences de la gestion de l’étudiant de deuxième cycle Hamza Sajid.
Pour lire l’article original du Réseau de veille en tourisme, c’est par ici.
*Les données dévoilées par cette étude détonnent avec celles colligées en novembre 2023 par la Chaire de tourisme auprès de voyageurs québécois. Selon cette dernière, seuls 6 % d’entre eux déclaraient avoir fait appel à l’IA dans le cadre de la planification d’un voyage. Cet écart pourrait peut-être s’expliquer par des méthodologies différentes ou encore par la possible adoption plus répandue de l’IA dans le marché anglophone. Bref, les raisons de cette différence seraient à creuser davantage.