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L’or vert du [Sri Lanka]

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Franck Laboue
L’aventurier épicurien
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LIPTON : UNE TASSE DE THÉ AU SRI LANKA

Larme suspendue au sud du continent indien, le Sri Lanka est une île magique. À elle toute seule, elle représente tout l’exotisme des Indes. J’ai moi-même été hypnotisé par ses charmes, comme les navigateurs des siècles passés. La diversité de ce pays m’a émerveillé : architecture coloniale, sites archéologiques, paysages fascinants et habitants accueillants sont les composantes de l’île. Au-delà des plages, des images douloureuses du Tsunami et de la guerre civile, le Sri Lanka est presque la représentation du paradis sur terre. J’ai retrouvé sur cette île un concentré de toute la fascination que j’éprouve pour l’Asie, le dépaysement à l’état pur. Île luxuriante enrobée dans une culture bouddhiste, elle est aussi une grande terre de thé. Un produit qui va changer l’économie du pays pour toujours. Un homme va en être l’artisan. Aujourd’hui encore, son nom reste l’un des plus célèbres au monde : « Lipton ». Embarquement pour l’ancienne Ceylan, à bord du train pour l’or vert du Sri Lanka.

lipton sri lanka thé

UNE HISTOIRE DE THÉ

Je quitte le chaos de Colombo, la capitale, pour me réfugier au cœur de l’île. Ici, pas d’autoroute, un petit autobus bondé m’emmène en cahotant vers la cité de Kandy. La route est entourée de verdure, 4 heures de trajet entouré de toutes les teintes de vert de la création. Petit îlot bouddhiste au sud de l’ogre hindouiste, le Sri Lanka est dès ces premiers kilomètres, un véritable coup de cœur. Sur le chemin, à peine dérangé par la musique tonitruante, je ferme les yeux et remonte le temps. Je pense aux navigateurs portugais qui établirent des comptoirs commerciaux sur la côte, établissant alors leur « Route des Épices ». Vinrent les Hollandais qui façonnèrent les cités coloniales de leur style architectural si coloré. Enfin, les Britanniques prirent le relais au début du XIXe siècle. C’est là que tout va s’accélérer pour cette petite île tranquille. La culture du café est introduite par les colons, mais sera vite ruinée par une maladie parasitaire. Vint James Taylor, un Écossais qui décida de planter les premières graines de thé du pays. Nous sommes en 1873, le premier thé de Ceylan est acheminé en Angleterre.

Arrivé à Kandy au cœur de l’île, je me balade dans l’ancienne capitale du royaume. Ville royale, on y conserve la relique de la dent de Bouddha. Je marche autour du lac artificiel qui entoure la ville. Les Anglais se réfugiaient fréquemment à Kandy, pour échapper à la chaleur étouffante de la côte. Assis au bord de l’eau, entouré de hauts palmiers avec pour horizon les toits de tuiles orange des villas coloniales, le spectacle tropical est à son paroxysme. La culture du thé est telle au Sri Lanka que le pays est aujourd’hui le troisième producteur mondial avec 330 000 tonnes ! La qualité du thé srilankais est réputée, c’est un produit qui représente 90% des exportations du pays. De thé je n’ai qu’aperçu des boites en métal avec la mention « Ceylan », et si j’allais y voir de plus près ? Pour ça il faudra grimper, le thé local pousse entre 1 000 et 2 500 mètres d’altitude.

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UN TRAIN POUR L’OR VERT

Le véritable périple vers les terres du thé commence alors. Je suis fébrile à l’idée de monter dans le train qui emmène les passagers dans les montagnes. Des souvenirs des trains bondés en Inde me viennent à l’esprit. Tout est calme à la gare de Kandy en cette matinée brumeuse. Le train arrive, je monte en première classe dotée d’une baie vitrée. Comme beaucoup de choses au Sri Lanka : les wagons sont un héritage de l’Empire britannique. Sur ces rails, je me sens comme dans une machine à remonter le temps. J’ai presque envie d’apercevoir une dame avec son ombrelle, assise, un livre à la main. Cinq heures de train sont nécessaires pour monter à Haputale. J’observe le paysage au rythme du cliquetis des wagons. Les vallons se transforment en montagnes d’un vert émeraude. Nonchalamment, le train se fraye un chemin, les locaux traversent les rails et les petites gares d’altitude se succèdent. Les vieilles pancartes ne semblent pas avoir bougées depuis des décennies. Les montagnes sont maintenant remplies de champs de thé, littéralement enveloppées par ces petits arbustes. Un spectacle magique que cette tapisserie de verts.

Sur le bord des routes, les enfants rentrent de l’école dans leur costume. À l’intérieur du train, j’aime à fantasmer le monde imaginaire du cinéaste Wes Anderson dans son film si décalé « À bord du Darjeeling Limited ». Des effluves de samoussas emplissent l’air des wagons, des jeunes hommes se penchent à l’extérieur des wagons dans le vide. C’est un trajet majestueux qui m’emmène à Haputale, au bout des rails, à 1 600 mètres d’altitude.

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LE FABULEUX DESTIN DE SIR THOMAS LIPTON

Vous connaissez assurément Lipton, fameuse marque de thé remplissant les rayons de nos supermarchés. C’est Sir Thomas Lipton qui créa cette marque dans les années 1870. Homme d’affaires écossais, il avait fait de la petite épicerie familiale une chaîne de 300 magasins. Il décide de tout miser sur le thé et s’approvisionne directement au Sri Lanka. En coupant les intermédiaires, il fait du thé un produit de grande consommation jusque là dédié uniquement à une certaine élite. L’heure du « Five o’clock tea » à grande échelle a commencé. Sa phrase la plus célèbre fut « Je veux vendre mes thés directement du jardin de thé à la théière ». En ouvrant sa première usine de thé en 1890 à Haputale, il allait alors créer l’une des boissons les plus consommées du monde! Chaque année, quelques 52 milliards de tasses sont avalées ! Un parfum de succès.

HAPUTALE : DES MONTAGNES ENIVRANTES

En arrivant à Haputale, je me sens au bout du monde. C’est un petit village assoupi dans les cimes du Sri Lanka qui m’accueille et ici, je suis le seul touriste. J’ai presque peine à trouver un hébergement et tombe sur un petit guesthouse pour la nuit. Le centre du village, c’est la gare : tout y respire l’Empire britannique, de la cabine téléphonique rouge londonienne au matériel datant des années 1940 à l’intérieur. Un vrai retour dans le passé, ici, rien ne semble avoir bougé. Je me lève aux aurores, la lumière est faible et les oiseaux piaillent déjà le long du chemin. Je me couvre, car le petit « Trishaw » qui m’embarque m’emmène ce matin à 1900 mètres d’altitude. Le soleil fait doucement son apparition et vient caresser les feuilles de thé. Telle une couverture, le thé recouvre entièrement l’horizon et monte jusqu’aux plus hautes cimes. C’est au point le plus élevé que je trouve « Lipton’s Seat ». Ici, l’homme d’affaires aimait venir y admirer son empire commercial. La vue panoramique est magique. Je redescends à pied à travers les champs de cet « or vert », accompagné par le gazouillis des oiseaux. Je croise alors les femmes partant travailler aux champs, avec leur sari de couleurs vives, elles forment une myriade de pointes colorées dans le paysage. La cueillette se fait toujours à la main et reste le travail des femmes tamoules. Peu importe la température, des heures durant, elles arpentent les plantations, remplissant avec des gestes quasi mécaniques leur lourd panier. Dans un pays où l’âge minimal pour travailler est de 12 ans, on croise de nombreuses petites filles dans les champs. Ici, la cueillette mécanisée est loin d’avoir supplanté la cueillette manuelle.

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DAMBATENE : L’USINE ORIGINALE

Enfin, sur mon retour, je tombe nez à nez avec la première usine « Lipton » du monde. À Dambatene, on peut encore faire une visite guidée, selon l’humeur de la personne qui vous accueille, sans aucune réservation. Dans l’usine, tout fonctionne comme en 1890. Les mêmes installations qu’au 19e siècle continuent de traiter les feuilles de thé. Le temps n’a pas bougé à Dambatene, il ne manquerait plus que d’apercevoir la silhouette de Sir Lipton inspectant ses machines. Une vision étonnante. Au Sri Lanka, on fabrique essentiellement du thé noir et les locaux l’aiment à l’Anglaise : avec du lait et du sucre ! Et vous, que diriez-vous d’une petite tasse ?

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VERDICT

Le Sri Lanka est un de mes plus beaux voyages et Haputale, avec ses champs de thé, aura été ma plus belle expérience dans ce pays. Les sensations à bord de ce train sont uniques, les images qui défileront devant vous resteront inoubliables. Prenez le temps d’apprécier les montagnes en vous baladant à travers les champs au petit matin : c’est magique ! Le Sri Lanka est pour moi la quintessence de l’exotisme, un rendez-vous avec un pays sensuel et envoûtant. Foncez, c’est un coup de cœur et un endroit comme il en existe peu !

À voir, À lire

Sir Thomas Lipton, de la conquête du thé à la quête de l’America’s cup : l’épopée d’un visionnaire (Françoise de Maulde – 1990). Rare et unique biographie en français sur le destin pas comme les autres de Sir Thomas Lipton. L’auteur y retrace son parcours de petit épicier à géant de la production de thé. Pour les curieux.

À bord du Darjeeling Limited (Wes Anderson – 2007). Génie du cinéma au style visuel unique, Wes Anderson invite ses spectateurs dans un voyage unique. Trois frères se retrouvent dans un train coloré en Inde, en quête de leur mère. Un voyage bariolé, des acteurs attachants et une façon unique de raconter des histoires, font de ce film un petit bijou.

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