Pénurie de personnel navigant : pas une raison pour refuser un remboursement

Un jugement de la Cour d’appel fédérale pourrait avoir un impact important pour les compagnies aériennes canadiennes.


Le débat sur la question de savoir si les contraintes de personnel navigant peuvent influencer ou non la décision d’indemniser ou non des passagers victimes de retard ou d’annulation, couve au Canada depuis des années.

Un nouveau jugement de la Cour d’appel fédérale du Canada pourrait marquer la fin de la possibilité, pour les compagnies aériennes, d’invoquer ces pénuries de personnel navigant comme des problèmes liés à la sécurité, et refuser le remboursement en vertu du Règlement sur la protection des passagers aériens (RPPA), entré en vigueur en 2019.

En août 2022, WestJet a déposé une requête auprès de la cour pour contester une directive de l’Office des transports du Canada (OTC) visant à verser 1 000 $ à un passager, en compensation d’une perturbation de vol causée par des contraintes de personnel.

Comme l’indique un jugement rendu hier par la Cour d’appel fédérale (avec Air Canada mentionné comme intervenant), Owen Lareau devait être passager sur un vol WestJet reliant Regina à Toronto, en 2021, d’où il devait ensuite se rendre à sa destination finale à Ottawa.

Selon le jugement, « bien que le vol devait quitter Regina à 11 h 30, il a été annulé moins d’une heure avant le départ en raison d’un manque de personnel. WestJet a reprogrammé M. Lareau sur un vol à destination de Calgary plus tard dans la journée. Il a passé la nuit à Calgary en utilisant des bons fournis par WestJet pour ses repas et son hébergement, et a pris un vol pour Ottawa le lendemain. Il est arrivé à sa destination finale environ 21 heures plus tard que prévu.

 

Une première demande déposée

M. Lareau a soumis une demande d’indemnisation à WestJet pour la perturbation de vol. WestJet a refusé, répondant qu’elle était « incapable d’approuver [sa] demande d’indemnisation car [son] vol a été affecté par la disponibilité du personnel navigant et [l’annulation] était nécessaire pour des raisons de sécurité ».

Trois jours après ce refus, le 17 août 2021, M. Lareau a déposé une plainte auprès de l’OTC, demandant « plus d’informations concernant cette situation de sécurité », car il lui semblait que WestJet était en sous-effectif. Il a déclaré avoir dû manquer une journée de travail rémunéré et qu’il aurait pu prendre des dispositions alternatives s’il avait été informé de l’annulation dans les jours ou semaines précédents. Il demandait une compensation financière pour compenser sa perte de revenu. »

Comme l’a noté Business Intelligence for B.C., l’OTC a accordé à M. Lareau 1 000 $ de compensation, et dans le jugement rendu hier, un panel de trois juges d’appel a confirmé la décision de l’OTC, donnant raison à son interprétation du RPPA.

 

La Cour d’appel confirme la décision de l’OTC

Comme le stipule le jugement : « Dans la décision en appel devant cette cour, l’OTC, également chargée d’enquêter et de statuer sur les plaintes des passagers en vertu du RPPA, a déclaré que les perturbations relevant de la catégorie sécurité devraient être limitées aux événements qui « ne peuvent être prévus ni empêchés », autrement dit, qui ne peuvent être évités par un transporteur prudent et diligent. »

La cour a ainsi considéré qu’une perturbation due à une pénurie de personnel ne devrait pas être considérée comme relevant de la catégorie sécurité, à moins que le transporteur ne démontre que la perturbation n’aurait pas pu être raisonnablement évitée, ou qu’elle était inévitable malgré une planification adéquate et ne résultait pas d’actions ou d’inactions du transporteur.

 

Une interprétation trop libre du RPPA

Le jugement note que WestJet a soutenu « que l’interprétation de l’OTC ignore le sens clair et ordinaire du RPPA, qui définit essentiellement une perturbation de vol requise pour des raisons de sécurité comme une perturbation « exigée par la loi afin de réduire le risque pour la sécurité des passagers ».

Elle soutient que les passagers ne devraient recevoir aucune compensation pour toute perturbation de vol résultant d’un problème de sécurité, peu importe les circonstances ayant conduit à ce problème, y compris le manquement du transporteur à prendre des mesures raisonnables pour développer et mettre en œuvre un plan de contingence adéquat pour atténuer la perturbation. »

WestJet avait également fait valoir que l’interprétation de la catégorie sécurité par l’OTC ne pouvait pas être acceptée car elle met les transporteurs et leur personnel sous pression pour choisir d’opérer des vols de manière non sécuritaire afin d’éviter de payer une indemnisation aux passagers.

 

Décision finale

Le jugement de la Cour d’appel fédérale? « L’OTC n’a pas commis d’erreur en interprétant et en appliquant le RPPA. L’interprétation proposée par WestJet de la catégorie sécurité aurait pour effet de contourner le régime de protection des consommateurs établi par le règlement pour corriger le déséquilibre aigu du pouvoir sur le marché auquel les passagers ont historiquement été confrontés par rapport aux transporteurs aériens. Elle doit être rejetée. »

Les juges ont également noté qu’une perturbation « relève du contrôle du transporteur mais est requise pour des raisons de sécurité » lorsque le transporteur subit cette perturbation pour réduire un risque pour la sécurité des passagers malgré avoir pris des mesures raisonnables : 1) pour planifier et conduire ses opérations quotidiennes afin d’éviter les situations créant ce risque; et 2) pour suivre un plan de contingence raisonnable mis en place pour réduire efficacement et rapidement ce risque.