Pourquoi la « tendance anti-voyage » est toujours d’actualité, et pourquoi elle ne devrait pas durer

7 mai 2021 – Il est déjà assez difficile de nos jours de gagner sa vie dans l’industrie du voyage, sans avoir à s’inquiéter de se faire blâmer pour avoir commercialisé ses services de voyage (même pour des voyages futurs) ou pour avoir pris des vacances.

La tendance anti-voyage (ou « Travel shaming » en anglais) a atteint son point culminant (ou, pour l’industrie, son point le plus bas) au début de l’année 2021, lorsque plusieurs politiciens et autres personnalités publiques ont été critiqués pour avoir pris des vacances pendant les fêtes de fin d’année, alors que l’avertissement contre les voyages non essentiels était toujours en vigueur et qu’une grande partie du Canada était en submergées par la deuxième vague de contaminations.

Les agents de voyages ont également été la cible de cette tendance anti-voyage, notamment sur les réseaux sociaux, où certains internautes n’ont pas hésité à émettre des commentaires négatifs en réaction à des messages sur la réservation de voyages. Les agents qui ont effectué des voyages en famille à l’automne 2020 ont souvent fait l’objet de ce type de commentaires, parfois même de la part de collègues du secteur du voyage.

En fin de compte, l’augmentation du nombre de cas de COVID-19 au cours de la deuxième vague, combinée à la réticence croissante à l’égard des voyages pendant la pandémie et à la crainte d’une augmentation du nombre de cas avec les vacances de mars, ont  amené le gouvernement fédéral à obtenir d’Air Canada, de WestJet, de Sunwing et de Transat, à la fin de janvier 2021, l’autorisation de suspendre temporairement tous les vols d’hiver. Le même jour, le gouvernement fédéral a également annoncé la mise en place d’une quarantaine de trois jours à l’hôtel, ajoutant ainsi davantage de restrictions à celles qui étaient déjà lourdement imposées pour les voyages au Canada.

L’EXPÉRIENCE D’UN AGENT DE VOYAGES

Michelle Whalen, agent de voyages chez Uniglobe Enterprise Travel Ltd. à London, Ontario, s’est rendue au Mexique en novembre 2020 avec une amie. « Je me suis retenue d’en parler à mes amis, à mes contacts et à mes clients par crainte des reproches », explique-t-elle, ajoutant qu’elle n’a partagé la nouvelle de son voyage au Mexique que trois ou quatre mois plus tard, en publiant une vidéo à ce sujet. « Dans la vidéo, je n’ai pas donné le nom de l’amie avec laquelle j’étais partie, de peur qu’elle ne se sente humiliée. Je sais qu’elle n’a pas dit à certains membres de sa famille, à ses collègues de travail et à ses nombreux amis qu’elle avait voyagé. Je me demandais si je devais partager ou non la vidéo et un conseiller m’a encouragée à le faire en me disant que les clients veulent entendre nos expériences personnelles. »

En publiant la vidéo, Whalen dit avoir demandé à ses followers de l’aider à maintenir un ton positif et encourageant en passant par la messagerie privée s’ils avaient des commentaires négatifs. Elle a également fait attention à sa formulation dans la vidéo. « J’ai essayé d’être le plus raisonnable possible et de mettre l’accent sur “quand le moment sera venu pour vous”, plutôt que sur “voyagez maintenant” », explique-t-elle.

L’attention toute particulière portée à la communication par Michelle Whalen a été payante. « Lorsque je passe en revue les messages et les commentaires de ces douze derniers mois, je constate qu’il n’y a rien eu de négatif ou d’humiliant. Cela tient en partie à la prudence dans nos messages », explique-t-elle. Nous avons évité les promotions de type “réservez maintenant, voyagez plus tard”. Le ton de notre communication a été celui de messages inspirants ou de présentation des destinations. En passant en revue l’année dernière, je me suis rendue compte que 95 % de notre contenu était axé sur ce thème. Nous poursuivrons cette stratégie pendant un certain temps en 2021, au lieu de proposer sans arrêt des promotions futures. »

Si la solidarité règne dans le secteur ces jours-ci, tout le monde n’est pas d’accord lorsqu’il s’agit de promouvoir les voyages et de prendre des vacances. « Je trouve que, même au sein de notre industrie, nos collègues, nos homologues conseillers sont humiliants et portent des jugements », dit-elle. « Certains de mes collègues qui ont voyagé ont également été très prudents en partageant leurs expériences sur les réseaux sociaux. »

COMBIEN DE TEMPS AVANT QUE LA TENDANCE ANTI-VOYAGE NE DISPARAISSE ?

Maintenant que le déploiement de la vaccination au Canada prend de l’ampleur, on parle même au-delà de l’industrie du voyage de la nécessité d’un plan de réouverture. C’est particulièrement vrai pour la frontière canado-américaine, maintenant que les États-Unis avancent à grand pas dans leur programme de vaccination.

Dans quelques mois, voire quelques semaines, alors que les voyages à destination et en provenance du Canada commenceront à rouvrir, la tendance anti-voyage va-t-elle reprendre de plus belle, ceux qui pensent qu’il est « encore trop tôt » jugeant ceux qui pensent que « le moment est venu » ?

Notre rédaction s’est entretenue avec le Dr Alan Fyall, directeur des programmes d’études supérieures au Rosen College of Hospitality Management de l’Université de Floride centrale, pour connaître son avis sur la tendance anti-voyage depuis son point de vue au sud de la frontière, où les voyages intérieurs ont repris très rapidement.

Q : Les voyages ont commencé à reprendre aux États-Unis, ce qui est formidable. Malgré ces résultats positifs, la tendance anti-voyage se poursuit-elle ?

Dr. Fyall : « Le taux élevé de vaccinations aux États-Unis, en particulier, contribue à « normaliser » les voyages, et la « tendance anti-voyage » est moins évidente qu’il y a un mois. Il est vrai qu’en cas de comportement irresponsable et imprudent, les critiques ne se font pas attendre, mais pour la majorité de ceux qui respectent les directives en vigueur, le voyage redevient une expérience agréable. »

« Une grande partie de cette tendance a été causée par la frustration d’être dans un état d’enfermement perpétuel et de voir d’autres personnes, dans d’autres États ou pays, revenir à un certain sens de la normalité. Les frustrations en Europe en particulier reflètent la lenteur du programme de vaccination, avec un certain sentiment d’envie par rapport au Royaume-Uni, à Israël et aux États-Unis où les programmes de vaccination s’avèrent très efficaces. De même, dans certains États telle que la Floride, où les voyages contribuent largement à l’économie, les voyages sont perçus de manière positive, car les voyageurs contribuent à la réouverture de l’industrie et aux moyens de subsistance de nombreuses personnes. »

Q : Comment expliquez-vous que cette tendance anti-voyage soit devenue si répandue ?

Dr. Fyall : « Une grande partie des critiques proviennent de la frustration par rapport à ceux qui bénéficient de programmes de vaccination plus rapides et d’un sentiment de jalousie du fait que, dans leur propre situation, le retour à la normalité semble encore loin. … Avec tant de personnes toujours en confinement dans de nombreuses régions du monde, les réseaux sociaux représentent le seul moyen facile de partager les frustrations alors qu’en réalité …. la plupart des gens préféreraient voyager eux-mêmes ! »

Q : Ici, au Canada, il est toujours interdit de voyager, avec de multiples restrictions très difficiles à respecter. Plusieurs de nos lecteurs agents de voyages ont été critiqués sur les réseaux sociaux pour avoir fait la promotion de futurs voyages. Existe-t-il des moyens de répondre à ces critiques de manière polie et professionnelle ?

Dr. Fyall : « Voyager de manière raisonnable, adhérer aux directives en place, rester local, profiter de l’environnement naturel sont autant de moyens de démontrer que les voyages peuvent être effectués en toute sécurité. Par ailleurs, il est utile de choisir des marques qui ont fait d’énormes efforts pour proposer des voyages en toute sécurité, d’éviter les zones que vous pensez être très fréquentées et de simplement respecter les règles de port du masque lorsqu’elles existent. Et pour éviter la critique anti-voyage, c’est simple, il suffit d’éviter de publier sur les réseaux sociaux jusqu’à ce que la normalité soit vraiment revenue …., ce que de nombreux voyageurs font sans doute déjà. »

Q : La tendance anti-voyage disparaîtra-t-elle lorsque la pandémie se calmera, ou pensez-vous qu’elle aura un impact durable sur le secteur du voyage ?

Dr Fyall : « Comme pour tant d’autres “sujets sensibles” tels que les passeports de vaccination, une fois que le nombre de vaccination aura réellement atteint le seuil nécessaire, la critique diminuera et les voyages redeviendront normaux et acceptables, même s’il s’agit de voyages dans un monde post-COVID ! »

Source : Kathryn Folliott pour le groupe Travelweek/Profession Voyages

Traduction : Emmanuelle Bouvet