Les déboires de Lynx Air s’inscrivent dans une longue lignée de transporteurs canadiens qui n’ont pas fait long feu, au fil des dernières décennies.
En début de semaine, Lynx Air a rejoint la triste cohorte de transporteurs canadiens à bas tarifs qui ont mordu la poussière, ces dernières années, en partie en raison de la concurrence féroce, des frais élevés et du vaste territoire canadien.
Au Canada, depuis le début des années 2000, Lynx est au moins la huitième compagnie aérienne de sa catégorie à décoller en grande pompe pour ensuite disparaître, rejoignant ainsi les rangs des Roots Air, CanJet et autres Jetsgo. La plupart n’ont pas réussi à éviter les mêmes obstacles qui ont freiné leur course depuis des décennies.
Un duopole dominant
Malgré une concurrence accrue, Air Canada et WestJet continuent de dominer le marché avec plus des trois quarts de la capacité des sièges parmi les transporteurs nationaux. Ces deux vétérans ont des moyens que les nouveaux venus n’ont pas, ce qui leur permet d’égaler plus facilement le prix des billets vers le bas.
« Il y a un problème fondamental avec la façon dont fonctionnent les dynamiques de la concurrence sur le marché canadien, dit John Gradek, qui enseigne la gestion de l’aviation à l’Université McGill. Le duopole que nous avons au Canada est autorisé à affronter ces transporteurs à bas prix de façon agressive et à utiliser leur puissance concurrentielle pour conduire essentiellement ces transporteurs à la faillite. »
Un petit marché pour de grands transporteurs
D’autres observateurs de l’industrie suggèrent que le marché canadien a du mal à soutenir plus de deux grands transporteurs nationaux, bien que Porter Airlines vise à devenir une exception alors qu’elle est en train de passer du statut de joueur régional à une compagnie aérienne continentale en pleine expansion. Le transporteur torontois veut ainsi faire passer sa flotte à 79 avions d’ici 2025, contre 29 appareils à turbopropulseurs en 2022.
« Si vous regardez l’histoire des 30 dernières années, il n’y a pas eu beaucoup de réussites, hormis WestJet » remarque Jacques Roy, professeur de gestion des transports au HEC de Montréal.
Le problème des frais élevés
Pendant ce temps, les frais élevés et les avantages acquis dans les grands aéroports peuvent jouer contre les nouvelles compagnies aériennes. Lynx, qui a lancé son premier vol en avril 2022, a pointé du doigt l’augmentation des coûts et des frais aéroportuaires parmi les responsables de sa disparition.
Le Canada a en effet des « frais d’amélioration d’aéroports » élevés, par rapport à d’autres pays, bien que cela soit en partie dû au fait que les aéroports sont des entités à but non lucratif qui reçoivent beaucoup moins de financement fédéral que ceux des États-Unis, par exemple.
Bien que les passagers des compagnies aériennes nationales paient le même montant que ceux des jeunes pousses à bas prix, les frais augmentent le prix de base d’un billet, décourageant ainsi les clients potentiels qui ont moins de revenu disponible.
Le cas de la liquidité
La nature saisonnière du voyage aérien au Canada crée également une montagne russe financière où les nouvelles entreprises, qui ont moins de liquidité (cash flow), ont du mal à survivre.
« Selon un vieux dicton, si vous voulez devenir millionnaire, vous commencez par devenir milliardaire, puis vous achetez une compagnie aérienne », dit Jacques Roy.
Un manque de grands aéroports secondaires dans les grandes villes peut également contraindre les petites compagnies aériennes à faire monter les enchères pour des créneaux horaires plus chers aux aéroports Pearson et Trudeau.
D’un océan à l’autre
Ensuite, il y a le problème ancestral d’une vaste géographie peu peuplée qui crée des défis uniques pour tous les transporteurs au Canada, mais surtout pour ceux qui peinent à décoller.
« Le modèle original – Southwest ou JetBlue aux États-Unis – consiste essentiellement à offrir des services de point à point entre des villes et des marchés relativement importants, et sur des distances relativement courtes », explique Jacques Roy. L’objectif consiste alors à tirer le plus de revenus possibles de chaque avion, les clients pouvant supporter les espaces restreints des appareils en raison des voyages plus rapides.
« Mais au Canada, il n’y a que très peu de ces destinations originales, et c’est un marché déjà occupé par des acteurs majeurs comme Air Canada et WestJet, poursuit Jacques Roy. Même si vous avez les poches bien remplies, jusqu’où êtes-vous prêt à perdre de l’argent, et jusqu’à quel point voulez-vous devenir millionnaire?”