[Miss Curieuse] Sinorama: vraiment la fin?

Le 8 août 2018,

Gwendoline Duval
Spécialiste marketing du tourisme & tendances
Lire plus d’articles de Gwendoline

Voici une nouvelle qui ne passera pas inaperçue au Québec et qui devrait réjouir certains acteurs de l’industrie touristique et du voyage! La présidente déléguée de l’Office de la protection du consommateur annonce sa décision, applicable aujourd’hui, de ne pas renouveler le permis de l’agence Vacances Sinorama inc. Cela implique que l’entreprise ne peut plus vendre de voyages au Québec. Il y a quelques mois, une vaste enquête avait révélé que Vacances Sinorama avait de graves difficultés financières. L’entreprise était alors déficitaire de 10,9 millions de dollars, somme qui devait être utilisée « pour honorer les futurs voyages déjà payés par les consommateurs ».

Vacances Sinorama avait conçu un modèle d’affaires qui lui était propre. Notamment contestée par l’industrie pour sa politique de prix agressive, l’entreprise connaissait un grand succès et a fait voyager en 2017, près de 40 000 Québécois en Chine et 100 000 en Amérique du Nord et en Europe. Selon les chiffres rapportés par La Presse, Sinorama aurait vendu des voyages et des forfaits d’autocar totalisant 123 millions de dollars canadiens en 2017, en hausse de 27 % par rapport à l’année précédente. Il est difficile d’imaginer qu’une entreprise ayant pris un tel poids dans notre industrie disparaisse mais la sentence est tombée.

D’un point de vue purement légal, quelles sont désormais les options offertes à Sinorama pour poursuivre son activité? Afin de bien décrypter la situation et avoir l’heure juste sur l’impact d’une telle décision, Profession Voyages s’est entretenu avec maître François Lebeau, avocat spécialisé dans le domaine du voyage. Son expertise met en perspective un fait inévitable: Vacances Sinorama ne pourra pas revenir facilement dans la course voir pas du tout! Pour l’instant, l’entreprise doit cesser toutes ses activités au Québec du côté expéditif et à priori aussi du côté réceptif mais cette dernière information n’a pas encore été confirmée officiellement.

CONTEXTE:

Cette décision survient au terme d’une période de 10 jours, alors que l’Office avait avisé l’agence, le 24 juillet dernier, de son intention de ne pas renouveler son permis. L’Office avait constaté que Vacances Sinorama inc. n’était pas en mesure de respecter les dispositions de la Loi sur les agents de voyages relativement à la gestion des sommes versées par ses clients.

« En vertu de la loi et de la réglementation au Québec, toutes les sommes qu’un agent perçoit d’un client doivent être déposées sur un compte sécuritaire appelé fidéicommis. Le montant déposé dans ce compte doit servir à payer les fournisseurs et l’agence ne peut pas le prendre pour son propre fonctionnement avant que l’intégralité des fournisseurs ne soient payés. C’est seulement une fois tous les services et prestations payés que Sinorama peut décaisser son profit. Cette réglementation vise à sécuriser le voyage du client en s’assurant qu’il pourra, une fois à destination, bénéficier des services qu’il a achetés. D’après le rapport de l’OPC, tout laisse à penser que Sinorama ne se serait pas conformé correctement à cette règle, ce qui constitue une infraction, car il s’agit d’un élément fondamental sur lequel repose la loi sur les agents de voyages.  On constate que les professionnels prennent de plus en plus soin de leurs clients et qu’il y a beaucoup moins d’incidents majeurs dans l’industrie, mais il est déjà arrivé dans le passé qu’une agence ne dispose plus des fonds pour payer ses fournisseurs et qu’elle parte avec l’argent des clients! L’objectif de l’OPC est de protéger les clients et il y avait visiblement un risque potentiel avec Sinorama Inc.» rapporte maître François Lebeau. 

Toutefois, il tient à souligner que Sinorama n’a peu eu d’incidents majeurs sauf la déception éventuelle des voyageurs. Il s’agit donc plus d’une mesure préventive de la part de l’OPC. 

« L’Office n’était pas et n’est pas en litige avec Vacances Sinorama inc. Il ne s’agit pas d’un litige. L’OPC doit notamment surveiller l’application de la Loi sur les agents de voyages et sa présidente doit prendre des décisions en ce sens dans l’intérêt public » précise Caroline Nappert, relationniste de l’OPC. 

Le 24 juillet dernier, la présidente déléguée a nommé un administrateur provisoire, PricewaterhouseCoopers, dont le mandat est de veiller à la protection des clients de l’agence. L’entreprise a eu l’occasion de présenter ses observations devant la présidente déléguée de l’Office. À la suite de cette audition et de l’analyse des observations écrites transmises par Vacances Sinorama inc., la présidente déléguée a pris la décision de ne pas renouveler le permis, puisque l’agence n’a pas pu la convaincre qu’elle était en mesure de se conformer aux exigences de la Loi.

QUELLES SONT LES OPTIONS DE SINORAMA INC. ?

Sans permis de l’OPC, il est interdit de vendre un voyage avec un départ depuis le Québec. Que peut faire Sinorama? L’entreprise pourrait-elle établir son siège en Chine et continuer ses activités? Maître François Lebeau nous donne quelques pistes de réflexion qui pourraient orienter le scénario futur.

1.Refaire une nouvelle demande de permis au Québec

Pour continuer ou renaître au Québec, Sinorama peut demander un nouveau permis. Même si son siège social est en dehors de la province, l’entreprise doit détenir un permis si elle offre des départs depuis le Québec. Si elle décidait de s’implanter dans une autre province canadienne, elle ferait face aux mêmes contraintes. Par exemple, au Québec, en Ontario ou en BC, les lois sont différentes mais ces 3 provinces ont des législations semblables.

« La meilleure option pour continuer d’offrir des séjours au départ du Québec, c’est tout de même de refaire une nouvelle demande, mais la demande doit être faite par une personne physique et il ne faut pas que cette personne se soit vu retirer un permis au Québec. L’office ne va pas accepter une nouvelle demande d’une nouvelle entreprise si c’est la même personne. Si une nouvelle personne demande un permis au nom de Sinorama, l’OPC risque d’être extrêmement exigeant sur le dossier. Ce scénario semble difficile » explique maître François Lebeau.

2. Faire appel de la décision

« Conformément à la loi, l’agence a 30 jours pour en appeler devant le Tribunal administratif du Québec (TAQ) », indique l’OPC.

Cela paraît compliqué car Sinorama n’a pas “profité” du temps accordé par la présidente pour proposer un plan afin de se conformer à la loi, ce qui veut dire qu’elle n’a pas pour l’instant la possibilité de contester la décision de l’OPC avec de solides éléments.

3. Revendre l’entreprise avant qu’elle ne soit déclarée en faillite

Si Sinorama paye ce qu’elle doit , elle pourrait vendre tous ses actifs à une autre entreprise. Il est donc encore possible de revendre l’entreprise mais qui en voudrait ? Cela implique de revoir toute la structure et le modèle d’affaires car cette autre entreprise pourrait revenir uniquement si elle est conforme aux legislations.

4. Recréer une entreprise avec de nouveaux administrateurs et un nouveau nom.

Le nom et la réputation de Sinorama ont souffert, alors il serait préférable de créer une nouvelle entité avec un nouveau nom comme par exemple “Chinorama“!

Peu importe l’option que choisira Sinorama, l’OPC sera très vigilant sur les nouvelles actions prises et il ne sera pas facile pour l’entreprise ou ces éventuels repreneurs de revenir dans la course. L’attitude de Sinorama face à l’OPC démontre peut-être la volonté d’abandonner sachant qu’ils ne pourront jamais se conformer aux exigences de l’OPC.

« Le scénario le plus probable c’est que Sinorama n’est pas capable de se conformer aux exigences de l’OPC. Le modèle d’affaires n’était peut-être pas prêt à supporter les contraintes locales. Malgré tout, Sinorama a réussi à faire voyager les gens en leur fournissant les prestations prevues au contrat sans pour autant être conforme » précise Maître François Lebeau.

Ils ont pu voyager à des prix I-M-B-A-T-T-A-B-L-E-S aussi!

QU’EN EST-IL DES COMMISSIONS DÛES AUX AGENTS DE VOYAGES?

Une question se soulève concernant les commissions attribuées aux agents de voyages suite aux ventes de voyages Sinorama. Le FICAV prévoit une indemnisation pour les voyageurs mais qu’en est-il pour les agents lésés? À ce jour, nous n’avons pas obtenu de réponse ferme mais voici la réponse reçue de l’OPC.

« Si vous faites référence aux commissions que certains grossistes versent aux agences détaillantes qui vendent leurs produits à leur clientèle, il pourrait s’agir d’une dette que Sinorama aurait envers ces agences. Si c’est le cas, la gestion de ces dettes serait sous la responsabilité de l’administrateur provisoire qui a été nommé, PricewaterhouseCoopers inc. » précise l’OPC.

QUE FAIRE SI VOUS AVEZ ACHETÉ UN VOYAGE ?

Tous les clients qui ont fait un achat auprès de Vacances Sinorama inc. et qui devaient voyager à compter du 10 septembre obtiendront un remboursement sur présentation des pièces justificatives. L’administrateur provisoire assura le suivi de toutes les réclamations et s’assurera que tous les voyages prévus jusqu’au 9 septembre inclusivement auront lieu. Si, toutefois, les voyageurs ne souhaitent plus voyager, ils pourront obtenir le remboursement du montant déboursé pour l’achat du voyage.

Si vous aviez prévu un voyage et qu’il vous reste un solde à payer, PWC indique qu’il ne faut pas s’acquitter du paiement final pour l’instant. Des instructions seront données dans les prochains jours. En revanche, l‘entreprise a toujours exigé que les factures soient payées en entier par ses clients des mois avant que le service de voyage soit rendu donc vous devriez être peu nombreux! 

Pour les clients qui auraient besoin de récupérer des documents de voyages, ils peuvent se rendre dans les bureaux de Sinorama, en revanche aucun voyage ne peut être vendu jusqu’à nouvel ordre.

Maître François Lebeau précise que le FICAV ne prévoit pas de compensation financière pour un préjudice moral, en revanche il recommande aux voyageurs déçus de demander une compensation financière pour effectuer un voyage équivalent aux mêmes dates.

LE CONSEIL DE L’EXPERT:

« Par exemple, si le voyage que vous aviez réservé coûte aujourd’hui 1800$ avec un autre prestataire (dans les mêmes conditions: même itinéraire, même catégorie de chambre, même date…), alors qu’il coûtait 300$ de moins avec Sinorama,  le fond pourrait vous rembourser votre paiement initial ainsi que la différence de prix pour vous permettre d’effectuer tout de même votre voyage. Si j’étais voyageur, c’est ce que je ferais, car c’est une perte pécuniaire et non un préjudice moral » confie maître François Lebeau.

INFORMATIONS PRATIQUES

Les clients de Vacances Sinorama inc. sont invités à communiquer avec l’administrateur provisoire, représenté par Mme Martine Mainville, au 1 888-999-4965 ou par courriel à administration.provisoire@ca.pwc.com.

De plus, des renseignements sont disponibles et régulièrement mis à jour sur le site Web de l’Office, à l’adresse www.opc.gouv.qc.ca/sinorama.