Guerre des prix, réduction de la capacité et de la fréquence aériennes en vue?

En pleine guerre commerciale, « toutes les options sont sur la table », affirme l’analyste du secteur aérien John Gradek.


Un avion ne peut pas faire demi-tour sur un coup de tête — une compagnie aérienne non plus.

Et pourtant, c’est exactement ce que les transporteurs canadiens doivent faire en ce moment, alors que la baisse de la demande vers les États-Unis chamboule des horaires planifiés depuis longtemps, pour le printemps et l’été.

Plus tôt ce mois-ci, Air Canada a déclaré que la baisse des réservations pour les vols transfrontaliers au cours des six prochains mois était comparable à une baisse de 10 % à l’échelle de l’industrie.

Lors d’un appel téléphonique portant sur ses résultats du quatrième trimestre et de l’exercice 2024, la compagnie a mentionné une « possibilité de redéploiement, si nécessaire », vers les destinations soleil. Le mois dernier, des réductions de service ont été signalées au départ de Vancouver vers trois destinations américaines : Washington-Dulles, Houston et Miami.

De son côté, WestJet a réduit ses vols Kelowna-Seattle et écourté ses liaisons Kelowna-Las Vegas. D’autres compagnies (comme Porter) ont annoncé une diminution de leurs efforts marketing vers les destinations états-uniennes.

Selon The New York Times, qui cite les données de Visual Approach Analytics, les réductions de sièges sur les routes transfrontalières vont de 7 % chez Air Canada à 25 % chez Flair Airlines. Pour l’hiver 2025-2026, Flair prévoit ainsi que les vols transfrontaliers ne représenteront plus que 12 % de son réseau, contre 20 % auparavant.

 

Garder la tête haute

Dans cette période de turbulences commerciales, et avec la haute saison qui approche, les compagnies canadiennes font leur possible pour garder le cap, avec de simples ajustements mineurs pour l’instant. Mais ensuite? Ce n’est pas la pandémie, mais la situation reste inédite.

« L’incertitude qui règne sur le marché du transport aérien freine clairement le processus décisionnel des transporteurs commerciaux canadiens », explique John Gradek, analyste de l’industrie aérienne rattaché à l’Université McGill.

« Nous avons vu passer des informations fragmentées provenant de sources fiables à propos d’un fléchissement de la demande pour les vols transfrontaliers ces dernières semaines, mais ces baisses ne se reflètent pas encore dans les plans de capacité des compagnies pour le printemps et l’été, ajoute le spécialiste. Les experts soulignent le manque de données prévisionnelles fiables, ce qui entretient le doute sur la pertinence de la capacité transfrontalière offerte. »

 

Redéploiements aériens en cours

Selon John Gradek, les transporteurs ont pour l’instant réduit à la marge leur capacité transfrontalière, « en mettant fin à certaines liaisons hivernales secondaires et en réduisant les fréquences lors des jours de moindre affluence, dit-il. Les transporteurs à bas prix sont même allés jusqu’à retirer certaines destinations états-uniennes de leur plan d’exploitation pour recentrer leurs efforts printaniers et estivaux sur le marché intérieur canadien. »

« Des compagnies canadiennes comme Porter continuent toutefois d’agrandir leur flotte nord-américaine et de lancer de nouveaux services vers des villes états-uniennes, nuance John Gradek. Air Canada et WestJet affichent un front uni malgré les annonces alarmantes concernant les liaisons transfrontalières. »

Les dernières données sur les voyages transfrontaliers confirment la tendance à la baisse : les retours en voiture des résidents canadiens ont chuté de 32 % d’une année sur l’autre, et les voyages aériens de 13,5 %, selon Statistique Canada.

Est-il facile pour les compagnies de modifier soudainement leur capacité? John Gradek indique que pour Air Canada et WestJet, « c’est relativement simple sur les routes déjà établies, mais c’est plus compliqué sur les nouveaux services à cause des coûts de démarrage de ligne et des coûts associés à leur suspension. »

 

Une guerre des prix due à une surcapacité intérieure?

John Gradek souligne que la vraie question est de savoir ce que les compagnies feront avec toute cette capacité libérée par la réduction des fréquences transfrontalières.

« Bon nombre de ces dessertes sont exploitées avec des avions monocouloirs, difficilement utilisables ailleurs que sur le réseau nord-américain, explique l’expert. Donc, si ce n’est pas vers les États-Unis, ce sera redéployé au Canada, ce qui accentuera la saturation du marché intérieur, compliquera l’accès aux créneaux dans les aéroports de Toronto et Montréal, et augmentera la probabilité d’une guerre des prix pour remplir ces sièges. »

Une guerre des prix que les Canadiens ne verraient pas d’un mauvais œil, compte tenu des tarifs intérieurs déjà élevés qui pourraient être appelés à baisser.

 

Les transporteurs agissent déjà

Les mouvements ont déjà commencé. Le 22 avril, WestJet a annoncé une expansion de son réseau intérieur avec de nouveaux vols directs entre Halifax et trois villes canadiennes cet été : Saskatoon, Regina et Vancouver.

Le transporteur albertain a aussi annoncé une nouvelle liaison entre Winnipeg et St. John’s pour l’été, ainsi qu’une augmentation de la fréquence des vols Halifax-Winnipeg, Halifax-Edmonton et Calgary-Deer Lake.

John Gradek prévoit une baisse de 20 % à 30 % de la demande transfrontalière dans les prochains mois, « qui pourrait même atteindre 30 % à 40 % pendant les mois de pointe de l’été, dit-il. Cela entraînera forcément des ajustements financiers et des réductions supplémentaires de capacité : suppressions de dessertes marginales, utilisation d’appareils plus petits, baisse des fréquences selon les jours – toutes ces options sont sur la table. »

 

Des annulations mal vues par les régulateurs

Comme le rappelle John Gradek, les compagnies aériennes n’aiment pas divulguer leurs niveaux de réservations à venir. « Et les annulations de vols ne sont pas bien perçues par les régulateurs, car les règlements sur la protection des passagers aériens (RPPA) prévoient des sanctions si ces annulations surviennent à proximité de la date de départ, dit-il. Les transporteurs devront faire preuve d’une grande prudence dans leurs ajustements de capacité, mais ils ne peuvent pas se permettre d’opérer trop longtemps des vols en dessous de leur seuil de rentabilité. »

C’est là tout le dilemme pour un transporteur obligé d’effectuer des coupes inattendues. « Si les réductions sont annoncées trop vite, cela pourrait être interprété comme un signe de faiblesse de la marque, estime John Gradek. Mais si elles sont trop tardives, comment gérer les réservations déjà effectuées? »

 

Des décisions délicates à prendre

Alors que les réservations estivales s’accélèrent, les compagnies risquent de se retrouver coincées. « Il est impensable de publier un horaire de vols qui n’a que peu de chances d’être respecté, ajoute John Gradek. Est-ce que les compagnies disposent de la flotte nécessaire pour maintenir les vols transfrontaliers tels que prévus tout en augmentant leurs services intérieurs? Je parie que non. »

Même si le tourisme intérieur devrait augmenter en raison de la baisse de la demande transfrontalière, les limites d’infrastructure dans les aéroports canadiens poseront vite problème, croit John Gradek

« Et je pense que les compagnies misent sur une baisse significative des prix du carburant pour les aider à passer l’été; l’avenir nous le dira », de conclure l’expert.

Cet article est paru dans l’édition du 24 avril 2025 de Travelweek.