La décision de l’Office des transports du Canada a été rendue en dépit de jugements précédents qui n’allaient pas en ce sens.
Au cours de la première année de la pandémie, et même au-delà, le refus des transporteurs aériens de rembourser les passagers était courant, ce qui avait alors suscité leur grogne.
Quatre ans plus tard, la question de savoir si les compagnies aériennes devraient rembourser leurs passagers après avoir annulé des centaines de milliers de vols pendant la pandémie continue de faire polémique, une situation exacerbée par un processus de plainte lent et opaque.
D’abord, des crédits
Dans les premiers mois de la pandémie, les avions cloués au sol et les horaires réduits avaient incité la plupart des transporteurs à accorder aux passagers un crédit de voyage. Les compagnies aériennes avaient alors affirmé qu’elles n’étaient pas tenues de rembourser les clients, citant une déclaration de mars 2020 de l’Office des transports du Canada.
Désormais, et en dépit de modifications réglementaires imposant des remboursements pour des vols annulés en raison d’un motif indépendant du contrôle des compagnies aériennes (pandémie, tempête de neige, etc.), bien des passagers canadiens font encore face au rejet de leur demande de remboursement.
Annuler ce qui est annulé
Selon une décision récente de l’Office des transports du Canada, un couple n’aura pas droit à un tel remboursement parce qu’il avait lui-même choisi d’annuler sa réservation de 2020 pour un vol que la compagnie avait déjà annulé.
Dans cette décision confidentielle obtenue par La Presse canadienne, un agent de résolution des plaintes de l’Office des transports du Canada (OTC) a ainsi déclaré que les deux passagers n’avaient droit qu’à un bon d’échange car ils avaient annulé eux-mêmes leur réservation avec WestJet. Au soutien de sa décision, l’agent de l’OTC a invoqué les conditions de leur billet.
« Bien que WestJet ait annoncé une suspension de vol, cela ne change en rien les modalités et conditions du billet lorsque le passager prend l’initiative d’annuler son billet lui-même », a soutenu l’agent, dans sa décision rendue le 28 décembre dernier.
Et pourtant…
Mais ces conditions — énoncées dans les politiques de WestJet et affichées sur son site web — indiquaient qu’en cas de perturbations de vol indépendantes du contrôle du transporteur, le client « serait remboursé » sous forme de paiement original, s’il refusait un itinéraire de voyage alternatif.
De plus, le PDG de WestJet de l’époque, Ed Sims, avait annoncé, un jour avant que le couple n’annule son voyage, que la compagnie annulerait tous les vols pendant au moins 30 jours à partir du 22 mars 2020, pour des raisons liées à la pandémie.
Le couple, qui a demandé à rester anonyme en raison de préoccupations juridiques, a décrit la situation comme un « cauchemar », après avoir perdu 4000 $ dans cette affaire.
« Comment pouvez-vous annuler un vol qui a déjà été annulé? » a demandé l’un d’eux. WestJet n’a pas répondu aux questions du couple. L’interminable processus qu’implique le dépôt d’une plainte à l’Office a ajouté à la frustration des voyageurs.
22 mois d’attente
Le couple a déposé sa plainte auprès de l’OTC en mars 2022 et il a déclaré avoir reçu la décision en janvier de cette année — une attente de 22 mois. À la fin du mois d’avril dernier, l’OTC comptait pas moins de 71 000 dossiers de plaintes en attente – et en retard – de traitement, son plus haut niveau à ce jour.
Le nombre de conflits juridiques encore en cours sur cette question est difficile à évaluer, car les décisions sur les plaintes rendues par l’OTC ne sont pas publiques.
« Cela crée un effet dissuasif et les gens ont peur de parler ouvertement », estime Gabor Lukacs, président d’Air Passenger Rights (groupe de défense des droits des passagers aériens). Il a également accusé l’OTC et la compagnie aérienne d’ignorer les faits dans l’affaire du couple.
Des conditions qui varient
À l’époque, les obligations de remboursement des transporteurs dépendaient des conditions rattachées à chaque billet, car les compagnies aériennes n’étaient pas tenues de rembourser les passagers en cas de force majeure, avant que la Charte des droits des passagers ne soit amendée en 2022, explique le porte-parole de l’OTC, Jadrino Huot.
Au début de la pandémie, les règlements « exigeaient uniquement que la compagnie aérienne veille à ce que les passagers puissent compléter leur vol, indique un message de l’OTC datant du 25 mars 2020. Certains tarifs des compagnies aériennes prévoyaient des remboursements dans divers cas, mais ils pouvaient comporter des clauses déchargeant les compagnies aériennes de leurs obligations, en cas de force majeure ».
Une jurisprudence ignorée?
Au moins trois décisions de l’OTC rendues depuis 2013 confirment pourtant le droit des passagers aériens à un remboursement, indépendamment des conditions tarifaires ou du fait de savoir si une annulation de vol est hors du contrôle de la compagnie aérienne.
Une décision de 2013 concernant Porter Airlines a ainsi établi que « il est déraisonnable pour Porter de refuser de rembourser le tarif payé par un passager en raison de l’annulation d’un vol, même si la cause est un événement indépendant du contrôle de Porter » et ce, en dépit du fait que le tarif de Porter incluait une politique de non-remboursement pour les retards et annulations de force majeure.
« Aller à l’encontre de ces décisions s’apparente à un outrage au tribunal, considère Gabor Lukacs. Surtout que le tarif de WestJet ne comprenait aucune disposition de ce genre. »
« L’équivalent d’une saisie »
En avril 2020, le Centre pour l’intérêt public a déclaré avoir reçu « de nombreuses plaintes de consommateurs concernant les vols futurs annulés et l’absence de remboursement pour ces vols. »
Garder des millions de dollars de frais revient à effectuer une saisie, fait valoir John Lawford, qui dirige cette organisation de défense des droits des consommateurs. « Lorsque les compagnies aériennes prennent de grosses sommes d’argent aux consommateurs pour des vols futurs et ne placent pas ces fonds en fiducie mais les utilisent plutôt comme fonds de roulement, elles prennent effectivement de l’argent des consommateurs pour rien, avait-il déjà écrit en 2020. Et les bons d’échange n’équivalent pas à un remboursement ».
Il en veut pour preuve certains Canadiens plus âgés, qui sont peu susceptibles d’utiliser un crédit à l’avenir « pour des raisons de santé ou pour des raisons financières, ou simplement en raison de l’incertitude des voyages aériens futurs », de poursuivre John Lawford.
Des remboursements dans certains cas
Après avoir tenu bon pendant plus d’un an, la plupart des compagnies aériennes ont commencé à offrir des remboursements pour les vols annulés en raison de la pandémie, comme condition de l’aide financière fédérale.
« Au fur et à mesure que la situation évoluait, nous avons accordé des remboursements aux voyageurs qui avaient reçu un crédit en raison de la COVID, que la réservation ait été annulée par nous ou par le passager », explique Andréan Gagné, porte-parole de Transat A.T. Inc.
WestJet, qui n’a jamais eu recours à l’aide fédérale, a été la première compagnie à offrir des remboursements à certains passagers en octobre 2020. Mais elle a déclaré que ces remboursements ne s’appliqueraient pas aux passagers ayant annulé leurs propres voyages ou qui avaient acheté des billets à des tarifs de base non remboursables, « conformément à notre politique tarifaire et aux conditions de réservation en vigueur avant la COVID ” — et ce, malgré les précédents du tribunal.