30 novembre 2020 — Alors que l’industrie du voyage est presque à l’arrêt, et que de nombreux employés ont été mis à pied ou licenciés, certains propriétaires d’agences poursuivent en parallèle le recrutement d’agents extérieurs. Pourquoi ce choix? Les agents externes représentent-ils une solution pour redynamiser les ventes et revenus des agences en temps de crise? En quoi la COVID est-elle une opportunité du point de vue RH pour une agence de voyages?
Depuis quelques années, le nombre d’agents externes au Québec et plus largement au Canada a explosé. Avant la pandémie, nous avions estimé qu’il y avait plus d’agents externes que de conseillers à temps plein au Québec, soit environ 6 000 agents externes. Si l’on en croit la tendance actuelle, ce phénomène pourrait se renforcer à l’avenir. La crise de la COVID-19 a mis en évidence le poids des frais fixes pour les agences de voyages. Face à l’incertitude des mois à venir, les propriétaires sont-ils dans l’optique de remplacer les employés par des agents externes? D’en recruter plus? C’est la question que nous avons posée à trois propriétaires qui recrutent actuellement des agents externes.
Mais, y a-t-il aussi des candidats pour cet emploi? Est-il plus simple de recruter des agents externes en ce moment? Ce qui est certain, c’est que l’industrie ne souhaite pas perdre ses bons éléments et les propriétaires d’agences non plus! Les agents et conseillers d’expérience sont difficiles à trouver, et certains se retrouvent sans emplois en ce moment en raison du contexte économique.
“Beaucoup d’agences ferment leurs portes, et des agents extérieurs, propriétaires ou employés se retrouvent sans rien” indique Claudine Dorval, propriétaire de l’agence Voyage Récréatif à Lac-Beauport.
D’après Geneviève Dupuy-Duplessis, Vice-présidente, Directrice générale de l’agence Club Voyage Dumoulin, il y aurait environ 1 000 agents ou conseillers sans emploi actuellement.
Claudine Lussier, conseillère en voyage chez Voyage Action a même lancé en pleine crise du COVID19 une nouvelle division dédiée aux agents externes, dont le nom est VA chez soi. Elle voyait visiblement dans cette crise du potentiel sur ce créneau.
MULTIPLIER LES SOURCES POTENTIELLES DE REVENUS : UNE NÉCESSITÉ
Plus il y a d’agents ou de conseillers, plus l’agence peut avoir de revenus et en ce moment, la moindre vente est la bienvenue! D’après nos sources, beaucoup d’agences de voyages n’auraient même pas réalisé 10% de leurs revenus habituels entre mars 2020 et novembre 2020 par rapport à la même période l’année dernière. D’autres ne s’en relèveront simplement pas, nous confient les propriétaires interrogés. Un triste constat dans lequel les agents extérieurs apportent une réelle opportunité pour dynamiser les revenus d’une agence sans trop d’investissement. Leur force étant d’apporter leurs propres ventes sans investir un salaire à temps plein. Encore faut-il qu’ils aient un réseau de clients souhaitant voyager, mais certains en ont!
“Plus on va avoir d’agents, plus cela va nous apporter des clients. Si un agent amène un client, une vente, c’est déjà beaucoup dans le contexte actuel. En ce moment, il y a des agents qui ont des demandes pour des voyages, d’autres non. Plus on a d’agents, plus il y a de ventes potentielles“, explique Claudine Dorval.
Une agence quelle qu’elle soit, ne devrait d’ailleurs pas se passer de recruter des agents extérieurs d’après une autre propriétaire.
“Ça serait fou de refuser des agents externes en ce moment! Les motivations à recruter sont simples. C’est du revenu additionnel sans que cela engendre des frais à l’agence” ajoute Larrisa Lognay, propriétaire de Passion Voyage.
EXTERNES CONTRE INTERNES : UNE FAUSSE BATAILLE
Il est important de noter que la stratégie actuelle des propriétaires interrogés est en phase avec celles qu’elles avaient avant la COVID-19 concernant les agents externes. Les agences qui avaient des employés comptent bien les reprendre et ne pas substituer toute leur masse salariale en recrutant des travailleurs autonomes. En revanche, celles qui avaient fait le grand saut il y a quelques années de ne plus avoir aucun employé à temps plein au profit de travailleurs autonomes, ne regrettent pas leur choix et considèrent même que c’est l’un des éléments qui les aident à traverser cette crise.
L’avenir ne se veut pas si noir pour tous les propriétaires qui croient à une reprise et qui adaptent naturellement leur stratégie de ressources humaines en fonction du contexte.
“Nous sommes très positifs sur le fait que l’activité va repartir d’un coup et qu’il faudra avoir une équipe de conseillers en place, autant dans nos agences qu’en externe. Notre vision en matière de ressources humaines n’est pas nécessairement focalisée sur aujourd’hui, on pense à plus long terme. Nous n’avons jamais fermé, nous réservons des voyages presque tous les jours pour nos clients, même si cela demande beaucoup de travail. Les agents qui veulent continuer à travailler dans le domaine, on les accueille actuellement en tant qu’agent externe. Le fait de recruter actuellement des agents externes est dans le but de continuer de travailler auprès des voyageurs et être présents pendant et après cette crise. Les affaires continuent malgré tout”, confie Geneviève Dupuy-Duplessis.
Elle ajoute : “Malgré la crise actuelle, notre modèle d’affaires reste le même. On a plus de conseillers externes que d’internes, c’est un bon mixte.”
Alors qu’il est difficile de prédire quand l’industrie du voyage tournera à nouveau à plein régime, nous avons cherché à savoir quels sont les objectifs de recrutement de ces propriétaires qui recrutent en temps de COVID-19 des agents externes. Une question nous brûle les lèvres : vont-ils en recruter plus que les années précédentes alors que les employés à temps plein, eux, peinent à retrouver leur emploi?
“Je n’ai pas un objectif de nombre d’agents à recruter, pour être honnête. J’ai l’objectif de recruter des bons agents, beaucoup d’agents d’expérience. Avant la Covid, il y avait certainement moins d’agents d’expérience disponibles, donc il existe une belle opportunité d’avoir plus d’agents pour nous”, indique Geneviève Dupuy-Duplessis, Vice-présidente, Directrice générale de l’agence Club Voyage Dumoulin.
“Notre stratégie était déjà d’aller chercher des nouveaux conseillers, dans différents domaines, et on continue avec cela, sans mettre de chiffre sur cet objectif. Nous recherchons des opportunités de collaboration qui font sens pour tout le monde. J’ai dans mon équipe un spécialiste de l’Autriche, un pour les groupes en Amérique du sud, et beaucoup d’autres! Cela m’amène des nouvelles perspectives et en ce temps de crise, chaque agent ayant une niche de marché peut être intéressant pour une agence“, ajoute Claudine.
LE MOMENT IDÉAL POUR RECRUTER OU CHANGER D’AGENCE?
Les signaux semblent au vert en ce moment pour concrétiser de nouvelles collaborations entre une agence et un conseiller externe, de préférence expérimenté. En effet, la période est propice aux changements en raison du peu d’activité, laissant ainsi plus de temps pour préparer l’arrivée et effectuer la transition. Toutefois, concernant le recrutement d’agents novices sans expérience, cela semble être plus mitigé chez les propriétaires. Toutefois il ne faut pas s’attendre à pouvoir gagner sa vie seulement avec cette activité rappelle bien Claudine Lussier, fondatrice de VA Chez soi. Cela prendra du temps avant de pourvoir en vivre!
“Dans l’optique où l’on recherche des revenus à tout prix, oui, c’est un bon moment pour recruter des agents expérimentés qui viennent d’autres agences, mais ce n’est pas le moment idéal pour former des agents qui n’y connaissent rien. Commencer avec un nouvel agent, même s’il est diplômé d’une école, sera compliqué en cette période. Les écoles n’enseignent pas toutes les particularités liées aux assurances, aux crédits voyage, aux annulations, etc. Si l’on souhaite recruter un nouveau dans l’industrie en cette période, cela va nécessiter plus de temps de formation”, déclare Larissa Lognay.
Claudine Dorval considère aussi que la période est propice à intégrer de nouvelles recrues : “C’est un bon moment pour eux, comme pour moi. Par exemple, normalement quand on fait un changement d’agences pour un agent, c’est plus compliqué. Il faut faire les changements pour les programmes récompenses et autres rewards, mais comme c’est tranquille en ce moment, c’est plus facile.”
Il n’y avait pas de pénurie concernant les agents externes avant la crise et il y a encore de la demande actuellement. Il y a aussi d’anciens propriétaires qui ont fermé leurs agences, mais qui veulent continuer à travailler dans le domaine, à leur rythme. Il y aura toujours des demandes de la part d’agents externes et les agences basées sur ce modèle vont continuer à recruter. D’ailleurs, plusieurs séances d’examens sont offertes à l’ITHQ chaque mois pour passer le permis de l’OPC.
“Je n’ai pas observé de pénurie du côté des agents externes. À titre personnel, je connais trois personnes qui vont passer leur permis OPC sous peu. C’est le bon temps pour les accueillir car on a le temps de les former en attendant la reprise”, partage Claudine Dorval.
Elle ajoute : “Des agents déjà affiliés à une agence m’ont contacté car certains agents ont été contraints de changer de succursales en raison de la fermeture de points de vente, et la connexion ne se fait pas avec la nouvelle équipe. Les agents ont perdu leurs habitudes et repères, donc c’est un excellent timing pour changer d’agence. Une agence bien connue aurait d’ailleurs perdu jusqu’à 200 agents d’après ce que je sais, et une grande partie pour cette raison”, confie la propriétaire de Voyage Récréatif. De mon côté, pour cette année, je vais continuer de recruter et publier mon annonce sur Profession Voyages, mais quand l’activité reprendra normalement, je vais faire moins de recrutement car j’aurais moins de temps pour ça”, explique Claudine.
S’il est clair qu’il existe des opportunités pour les agents externes actuellement, les propriétaires d’agence mettent en garde les agents sur le fait de bien choisir son agence.
“Regardez comment vous êtes considérés dans votre agence, et magasinez pour voir si vous pourriez vous sentir mieux ailleurs! Vous avez le choix! Veillez bien à regarder si l’agence est solide financièrement car d’autres vont fermer. Pour le savoir, vous pouvez par exemple demander si l’agence fait des ventes, est-ce qu’elle est ouverte, est-ce que quelqu’un répond au téléphone quand vous appelez à l’agence, est-ce que l’agence a pignon sur rue… cela vous donnera déjà une idée”, explique Claudine.
Pas toujours considérés à leur juste valeur car il s’agit souvent d’une deuxième activité, les agents externes se sont pourtant rendus indispensables au sein des agences et la pandémie ne fait que renforcer leur position stratégique pour le développement des revenus, particulièrement en temps de crise. Loin de venir en concurrence avec les conseillers à temps plein, ils apportent eux aussi leur pierre à l’édifice pour traverser la crise de la COVID-19 et bâtir la reprise.
Source: Gwendoline Duval pour Profession Voyages.